Fiora et le roi de France
arroi. Fiora
passera pour une cousine italienne de votre époux, ou une nièce, qui a eu des
malheurs, et moi je fais une duègne très convenable. En outre, ni les travaux
de la maison ni les soins d’un accouchement ne me font peur.
– Vous
voulez y habiter seules ?
– Naturellement,
dit Fiora. Le jeune Florent m’est dévoué, mais il ignore tout et je pense le
renvoyer à la Rabaudière.
– C’est
impossible ! fit Agnelle catégorique. La maison, vous le savez, se trouve
un peu isolée. Il y faut un homme, ne fût-ce que pour le bois, l’eau et les
gros travaux. Florent connaît l’endroit pour s’être occupé longtemps du jardin,
et aussi les gens des environs. Si nous adoptons l’idée d’une nièce d’Agnolo,
personne ne s’étonnera de le voir à Suresnes. Pourquoi ne voulez-vous pas le
mettre au courant ? Aurait-il démérité ?
Fiora
rougit et ne répondit pas. Ce fut Léonarde qui s’en chargea :
– En
aucune façon, mais ce qui gêne Fiora, c’est – vous le savez d’ailleurs – qu’il
est amoureux d’elle depuis leur première rencontre ici-même. Elle craint... de
le choquer ; peut-être même de le blesser.
– Vous
le connaissez mal. Il sera fier de votre confiance et plus encore de devoir
veiller sur celle qu’il aime tant. Mais à présent, nous devons débattre sur l’heure
d’un sujet plus important : l’enfant. Que comptez-vous en faire ? Vous
ne pourrez pas le ramener chez vous...
– Je
sais, dit Fiora. Et croyez que cela m’est cruel. Je ne peux accepter l’idée de
m’en séparer à jamais. Pourtant, il va falloir trouver des parents nourriciers
dignes de confiance...
– Et
vous n’avez pas pensé à nous ? s’écria Agnelle sincèrement indignée. Où
trouverez-vous de meilleurs parents qu’Agnolo et moi à qui le Ciel n’a pas
accordé d’enfants ? Et où sera-t-il mieux que chez nous où il vous sera
loisible de le revoir chaque fois que vous le désirerez ? Tenez ! Vous
seriez sa marraine ?
A son
tour Fiora se leva, alla prendre l’excellente femme dans ses bras et la serra
sur son cœur :
– Autant
vous l’avouer : j’espérais que vous parleriez ainsi.
– Mais
vous n’en étiez pas certaine ? Pourquoi ?
– J’étais
sûre de la femme que vous êtes. Mais il y a votre époux. Il peut s’y opposer.
Je connais ses principes...
– Seulement
vous ne connaissez pas assez son cœur. Décidément, mon amie, vous savez bien
mal juger les hommes. Élever comme sien l’enfant de Monseigneur Lorenzo et de
sa chère donna Fiora ? Mon Agnolo va être aux anges !
Il le
fut en effet et, les larmes aux yeux, remercia la jeune femme de la preuve d’affection
qu’elle allait leur donner.
– J’en
ferai un homme digne de votre cher père, affirma-t-il.
– Et
si c’est une fille ? Il faut envisager cette éventualité.
– Alors,
elle sera la lumière de cette maison. Quant à Florent, Agnelle le connaissait
mieux que
Fiora
et l’avait parfaitement jugé. En apprenant ce que l’on attendait de lui, il mit
genou en terre devant la jeune femme, comme un chevalier devant sa dame, et
jura de veiller sur elle et sur l’enfant à naître, jusqu’à la mort s’il se
devait. Dépositaire d’un secret aussi dangereux pour la paix à venir de celle
qu’il aimait, il se sentait immensément fier, et en outre ravi : la
perspective d’une longue et étroite cohabitation avec Fiora, sans autre témoin
que Léonarde, l’enchantait. Du coup, il se sentit la force et la sagesse de
tous les preux du grand Charlemagne réunis en sa seule personne. Certes, une
inquiétude lui vint à la pensée de Khatoun et de son attitude devant une aussi
longue absence, mais, même si, au retour, il devait affronter des scènes
déplaisantes, le jeu en valait largement la chandelle.
Durant
les trois jours qui suivirent, Fiora et Léonarde se comportèrent comme des
étrangères en visite. Avec Agnelle, elles se rendirent à Notre-Dame, à la
Sainte-Chapelle, musèrent sur les marchés et au cimetière des Innocents. Là,
elles effectuèrent de nombreux achats dans cette rue de la Lingerie qui
jouxtait le fameux enclos des morts où se déversaient la majeure partie des
défunts de Paris. Elles ne manquèrent pas de faire aumône à la recluse de l’endroit,
la vénérable Agnès du Rocher, qui s’était fait murer soixante-quinze ans plus
tôt, à l’âge de dix-huit ans, dans l’étroite logette sans porte ni fenêtre
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