Fiora et le roi de France
curieuse scène qui se déroula dans une hutte de
bûcherons abandonnée de la forêt de Rouvray : la grande dame et sa
suivante y changeaient leurs riches costumes de voyage pour des robes et des
capes d’épais drap gris et noir et des coiffes de toile unie qu’elles
rabattirent sur leurs visages, s’assurant ainsi un maintien modeste peu
susceptible d’attirer l’attention des passants, à vrai dire assez rares. Après
quoi, l’on reprit le chemin de Suresnes où l’on arriva à la fin du jour, en
cette heure grise et indécise que l’on appelle « entre chien et loup »,
et alors que l’Angélus du soir était sonné depuis un bon moment au clocher de
Saint-Leuffroy.
Situé
entre les pentes du mont Valérien et la Seine dans laquelle son petit verger
venait mourir, le clos d’Agnolo Nardi se composait dudit verger, d’une belle
vigne qui remontait doucement le coteau, et d’un jardin entourant une maison
basse construite en croisillons de bois et plâtre de Paris sur un soubassement
de pierres qui renfermait le cellier et les caves. Un escalier extérieur menait
à l’unique étage, encapuchonné d’un grand toit pointu. Deux ou trois petites
dépendances, dont une écurie, formaient sur le derrière une cour irrégulière
creusée d’une mare dans laquelle poules et canards s’ébattaient tout le jour.
Un vieil homme noueux comme un cep de vigne et presque aussi causant, le père
Anicet, assurait en principe la garde du domaine, protégé par son voisinage
avec l’abbaye. Le père Anicet veillait à l’entretien de la vigne avec l’aide
intermittente mais vigoureuse, surtout au moment des vendanges, de deux vieux
garçons du village, les frères Gobert. Il habitait une maisonnette au bord de l’eau,
ce qui lui permettait de s’adonner à ce qu’il aimait le plus au monde avec les
vins du pays : la pêche. Enfin, il ne mettait jamais les pieds dans la
maison principale où, en arrivant, Florent se hâta d’allumer les feux qu’il
avait préparés.
Le
logis se composait d’une grande cuisine qui servait de pièce à vivre, de quatre
chambres et d’un réduit pour les commodités. Les meubles en étaient simples,
mais solides et bien choisis comme les tentures qui réchauffaient les chambres
où ne manquaient même pas les tapis. La main d’Agnelle se devinait dans l’abondance
et la qualité du linge et des objets usuels. Rien de luxueux, bien sûr, mais
tout ce qu’il fallait pour rendre confortable un séjour hivernal...
– A
moins d’une très grosse crue, ajouta Florent qui faisait les honneurs, nous n’avons
pas à craindre l’inondation. Il est déjà arrivé que l’eau vienne jusqu’à l’entrée
de la cave, mais on peut toujours sortir par l’arrière puisque la maison est
située sur une pente. Pensez-vous que vous serez bien ici, donna Fiora ?
Celle-ci
le rassura d’un sourire.
– Très
bien. J’en étais certaine, d’ailleurs, depuis le séjour de dame Léonarde.
Regardez-la, Florent, elle est déjà chez elle.
La vie
s’organisa très vite, rythmée par la cloche du couvent Saint-Leuffroy qui
sonnait les offices. Les deux femmes vaquaient aux soins du ménage et de la
cuisine, cousaient, brodaient ou filaient le soir sous le manteau de la
cheminée qui les réunissait tous trois. Florent, lui, veillait aux gros travaux
et au ravitaillement. Fiora se sentait nettement plus alerte que durant sa
première grossesse et sortait volontiers dans l’enceinte du domaine. Elle ne
tenait pas à se montrer au village, afin d’éviter de susciter la curiosité.
Mais, profitant de l’été de la Saint-Martin, elle obtint de Florent qu’il l’emmène
avec Léonarde jusqu’au sommet du mont Valérien admirer la vue sur Paris que la
renommée disait si belle. Il lui semblait que la contemplation de la nature l’aidait
dans sa gestation. En outre, le mont était devenu un but de pèlerinage depuis
qu’y vivait un ermite nommé Antoine. Pour figurer le Calvaire, il avait élevé
trois croix de bois devant lesquelles il priait matin et soir.
Afin
de ne pas déranger le saint homme dans ses oraisons, Fiora et Léonarde
gravirent la pente boisée en début d’après-midi. De fait, elles ne
rencontrèrent personne et c’est tout juste si elles aperçurent la hutte de
branchages qu’il s’était construite à la lisière du bois.
De
là-haut, le panorama était admirable. Paris enfermé dans ses murailles et coupé
par le long ruban gris de la Seine, Paris
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