Fiora et le roi de France
l’embarras dans lequel elle
se trouvait, sans chercher le moins du monde à se découvrir des excuses.
– Par
les lettres de Léonarde et les miennes, vous avez su dans quelle aventure
insensée je me suis trouvée entraînée avant de pouvoir, enfin, regagner
Florence et y vivre quelques semaines de paix, je dirais presque de bonheur
car, pendant ce séjour j’ai... j’ai aimé Lorenzo de Médicis et il m’a aimée. Je
ne vous le cache pas, la tentation m’est venue alors de rester là-bas, d’y
appeler mon fils et Léonarde. Bien sûr je me croyais veuve, mais, dussé-je
mourir de honte devant vous, je crois que, sachant mon époux vivant, les choses
se seraient passées de la même façon...
Fiora
se tut un moment. Avant de commencer, elle avait reculé suffisamment pour que
son visage ne fût pas trop éclairé par la lumière du grand chandelier posé sur
la table. Elle avait en effet conscience de l’incongruité de telles paroles
dans ce foyer d’époux honnêtes et fidèles l’un à l’autre. Agnolo et Agnelle se
portaient un amour profond et, très certainement, la seconde n’aurait jamais l’idée
de regarder seulement un autre homme que son époux. Pourtant, dans ces deux
visages tournés vers elle, Fiora ne lut rien qui ressemblât à une quelconque
condamnation. Au contraire, Agnelle lui sourit :
– Vous
connaissez Monseigneur Lorenzo depuis toujours, n’est-ce pas ?
– Depuis
toujours en effet...
– Alors,
peut-être l’aimiez-vous déjà sans vous en rendre compte ? Agnolo n’a cessé
de me répéter qu’il est l’homme le plus extraordinaire de ce temps et que son
charme est extrême.
– Cela
vous ressemble bien, chère Agnelle, de chercher tout de suite une excuse à ma
faute, mais je n’aimais pas Lorenzo jadis. C’était de son frère Giuliano que j’étais
amoureuse. J’ajoute que je l’ai oublié dès ma rencontre avec Philippe de Selongey.
Et c’est là qu’en dépit de votre indulgence vous aurez peut-être quelque peine
à me comprendre car, même auprès de Lorenzo, je n’ai jamais cessé d’aimer
Philippe et quand j’ai su, par messire de Commynes, que le roi lui avait fait
grâce et qu’il vivait toujours, ma seule pensée a été de revenir vers lui, ma
seule espérance de le retrouver...
De l’autre
bout de la table, la voix d’Agnolo, paisible et un peu sourde, se fit entendre.
– Qui
de nous peut se vanter d’avoir vécu sans faiblesse ? Tu oublieras
Monseigneur Lorenzo comme tu avais oublié son frère !
– Non.
L’oubli est désormais impossible, et c’est pourquoi je suis venue demander
votre aide... si vous ne me méprisez pas trop !
Le
silence qui suivit ne dura guère. Agnelle se leva, vint derrière Fiora et,
glissant ses bras autour de son cou, elle dit calmement :
– Je
crois, Agnolo, que tu devrais t’assurer que les portes sont bien fermées.
Il
leva un sourcil, sourit, puis se leva et quitta la salle. Le bruit de son pas
inégal s’éloigna lentement. Alors, sans quitter sa pose affectueuse, Agnelle
murmura à l’oreille de Fiora :
– Quand
l’enfant doit-il arriver ?
– En
avril, je pense, mais, Agnelle, je ne voudrais surtout pas vous mettre dans l’embarras.
– Chut !
Il n’y aura aucun embarras. Puisque votre époux est vivant, la naissance doit
rester secrète.
– C’est
ce que je souhaite et c’est aussi pourquoi j’ai voulu m’éloigner avant que les
signes extérieurs ne deviennent visibles.
– Vous
avez eu tout à fait raison. Ici, la maison est grande...
– Non,
coupa Léonarde. Ce n’est pas davantage possible ici. Avez-vous oublié le
remue-ménage causé par notre arrivée ? En outre, il y a vos servantes, les
commis de votre époux. Le beau secret que nous aurions là ! Nous pensions
plutôt vous prier de nous prêter votre maison de Suresnes où j’ai passé naguère
l’agréable convalescence de ma jambe cassée.
Agnelle
se redressa lentement et marcha quelques instants le long de la cheminée avant
de s’y arrêter.
– Cela
vous ennuie-t-il ? demanda Fiora.
– Cela
m’ennuie pour vous. Une maison que nous n’habitons guère qu’en été, vous y
faire passer un hiver avec l’humidité des bords de Seine...
– Les
cheminées tirent parfaitement, reprit Léonarde, et à présent je connais bien la
maison et ses entours. Je crois que nulle part nous ne serons mieux retirées.
Bien sûr, il ne serait pas question de s’y installer en grand
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