Fiora et le roi de France
d’octobre, Fiora et Léonarde quittèrent la Rabaudière sous la garde
de Florent, incapable de cacher sa joie. N’était-il pas normal, comme il l’expliqua
durant leur dernière nuit à une Khatoun en pleine crise de jalousie, qu’il ait
plaisir à aller embrasser ses parents ? Et il pressa l’instant du départ
pour couper court aux attendrissements et surtout pour ne plus voir la jeune
Tartare, debout au seuil de la maison, serrant farouchement contre elle le
petit Philippe qui, peu satisfait du traitement, protestait vigoureusement, au
point que Péronnelle dut s’en mêler. Les yeux noirs flambaient de colère et de
chagrin à la fois cependant que, du haut de sa mule, Fiora donnait ses
dernières instructions du ton joyeux de quelqu’un qui s’en va faire un voyage d’agrément.
La
version officielle était le souhait d’Agnolo Nardi de la voir venir à Paris pour
quelques affaires importantes. Se sentant vieillir, le négociant voulait
informer l’héritière de Francesco Beltrami de ce dont il faudrait qu’elle s’occupe
s’il venait à disparaître. Pieux mensonge, bien sûr, puisque les intérêts de la
jeune femme étaient, à présent, fermement tenus en main par Lorenzo de Médias
en personne. En réalité, Agnolo avait écrit à Fiora que lui-même, sa femme
Agnelle, leur maison et leur cœur ne souhaitaient qu’une chose : l’accueillir
à nouveau et la garder le plus longtemps possible. Ils ignoraient la raison
profonde du séjour que Fiora entendait faire à Paris.
Péronnelle
et Etienne, dans la simplicité de leurs cœurs, n’avaient rien vu d’extraordinaire
à ce voyage. Pour eux, Fiora, qu’ils aimaient sincèrement, avait fini par prendre
les couleurs d’un bel oiseau migrateur. Une chose comptait à leurs yeux : elle
leur accordait pleine confiance et, grâce à elle, ils étaient exempts de tout
souci d’ordre matériel. Enfin, un petit enfant vivait auprès d’eux, leur
donnant la douce illusion d’être grand-père et grand-mère.
A son
regret, Fiora n’avait pu saluer Douglas Mortimer. L’Ecossais, dont décidément
le roi appréciait toujours davantage les services, accomplissait une mission. C’est
dire que tout le monde, hormis Louis XI, ignorait où il se trouvait. A ce
dernier, la jeune femme, au matin de son départ, fit porter une lettre
annonçant une absence de quelques semaines pour affaires. Elle le savait trop
méfiant pour se permettre de quitter son voisinage sans l’en prévenir. Ayant
ainsi assuré ses arrières, Fiora prit d’un cœur assez paisible le chemin de
Paris qu’elle et Léonarde gagnèrent par Tours, Amboise, Beaugency et Orléans.
Un
voyage agréable, que l’on fit sans hâte excessive pour ménager Léonarde. Le
temps d’automne restait beau et, si les nuits devenaient fraîches et parfois
pluvieuses, le soleil semblait s’être donné à tâche de reparaître à chaque
aurore et, dans l’après-midi, permettait encore les fenêtres ouvertes et les
longs bavardages dans la rue.
En
approchant de la grande ville, Fiora s’aperçut qu’elle éprouvait des
impressions différentes de celles ressenties trois ans et demi plus tôt, lorsqu’elle
y était arrivée avec Léonarde, Démétrios et Esteban. Sous le coup de la mort
tragique de son père et des cruelles épreuves qui l’avaient suivie, elle ne
souhaitait qu’un refuge, un endroit où personne ne la connaîtrait et où elle
pourrait refaire ses forces pour les combats qu’elle avait juré de mener.
Cette
fois, s’accordant le loisir de regarder autour d’elle, elle vit que les abords
de Paris paraissaient aussi aimables que les rives de la Loire : des
plaines et des avancées de plateaux couverts de champs cultivés, des coteaux
garnis de vigne ou piqués d’arbres fruitiers, des vallées vertes de pâturages,
des bois, des forêts, des châteaux montrant souvent des pierres neuves et puis,
à mesure de l’approche, des bourgs importants, des villages paisibles et de
grandes abbayes. Les murailles même de la ville capitale semblaient rajeunies,
car Louis XI veillait de près aux défenses de ses grandes cités et encourageait
les restaurations.
Dans
Paris où ne pesait plus, comme la première fois, la menace des Anglais, les
rues étaient pleines d’une vie bruyante, riche et colorée où ne résonnait aucun
pas ferré de troupe en marche. A l’exception des gardes de la porte
Saint-Jacques et des sentinelles postées aux deux châtelets, le Petit
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