Fiora et le Téméraire
de
Saint-Georges sonnèrent l’Angélus et, d’un côté comme de l’autre, les têtes se
découvrirent tandis que l’on s’immobilisait pour une courte prière. L’escorte
de Fiora fit de même... Enfin, passé les anciennes fortifications de la vieille
commanderie des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui se trouvaient à
environ douze cents mètres des remparts, on découvrit, gardé militairement, un
groupe de tentes fastueuses rangées autour de la plus grande, un immense trèfle
pourpre dont la pointe centrale était surmontée d’une bulle d’or couronnée. Une
grande bannière violet, noir et argent était plantée tout auprès et un peuple d’écuyers,
de valets et de pages habillés aux armes de Bourgogne s’agitait autour. Les
autres tentes portaient les armes du duc de Clèves, du prince de Tarente, de
divers ambassadeurs et de nombreux chevaliers de la Toison d’or mais celle qui
était la plus proche du logis ducal était un peu plus grande que les autres, d’une
riche teinte violette surmontée d’une croix d’or et abritait le légat du pape,
Alessandro Nanni, évêque de Forli.
Toutes
ces habitations provisoires, dont certaines auraient pu rivaliser avec de
vraies maisons pour la solidité et l’élégance, étaient, à cette heure, pleines
d’activité cependant que dans les bâtiments encore debout de la commanderie,
les cuisiniers poussaient leurs feux sous les rôtis et les ragoûts dont les
parfums épicés emplissaient l’air. Cela donnait lieu à un joyeux brouhaha grâce
auquel on pouvait oublier un peu que l’on était en guerre...
L’apparition
du capitaine des gardes menant en bride une belle jeune femme vêtue de noir aux
poignets entravés suscita plus que de l’intérêt mais, apparemment sourd et
insensible aux appels et aux questions de ses compagnons d’armes, Olivier de La
Marche poursuivit son chemin sans même tourner la tête. Fiora, elle non plus,
ne regardait rien ni personne. Très droite sur son cheval, elle avait l’attitude
hautaine d’une reine captive et ne vit pas, à quelques pas d’elle, deux
chevaliers dont l’un aidait l’autre à se débarrasser d’un heaume cabossé. Une
immense stupeur figea un instant le visage du premier qui, du coup, arracha le
casque un peu trop vite :
– Doucement,
s’il te plaît ! protesta Philippe de Selongey. Tu as failli m’arracher le
nez !
– Regarde !
... et dis-moi si, par hasard, je n’aurais pas des visions ?
De son
bras tendu, Mathieu de Prame désignait les deux cavaliers qui se dirigeaient
vers la tente du duc. Sous son hâle Philippe rougit brusquement.
– Ce
n’est pas possible ! Cela ne peut pas être elle ? murmura-t-il. Si
elle était encore vivante, que ferait-elle ici ? Et prisonnière ?
– Je
ne sais pas. Mais crois-tu que pareille ressemblance soit possible ? J’aurais
cru cette beauté unique...
– Il
faut savoir !
Philippe
s’élança, mais déjà La Marche et sa captive avaient mis pied à terre devant la
demeure ducale où veillaient des gardes et étaient entrés. Les lances se
croisèrent silencieusement devant Selongey quand il voulut pénétrer à son tour.
– Je
veux entrer ! protesta-t-il. Il faut je voie Monseigneur le duc sur l’heure !
– Impossible !
Messire Olivier vient de donner ordre de ne laisser passer quiconque après lui.
– Mais
enfin, cette femme qui vient de pénétrer avec lui les mains liées, qui est-elle ?
– Je
l’ignore...
Avec
fureur, Selongey arracha son gantelet et le jeta à terre. Prame, qui l’avait
rejoint, s’efforça de l’apaiser :
– Calme-toi !
La colère ne te servirait à rien. Il suffit d’attendre qu’elle sorte... Le duc
ne va pas la garder éternellement chez lui...
– Tu
as raison... Attendons !
Et
tous deux allèrent s’asseoir sur le tronc d’un des nombreux arbres qui avaient
été abattus...
Pendant
ce temps Fiora, après avoir attendu quelques instants seule dans une sorte d’antichambre
tendue de velours pourpre, accédait, toujours guidée par le capitaine des
gardes, à une pièce somptueuse, tendue d’une toile entièrement brodée d’or qui
brillait comme une mitre d’évêque. Au milieu, éclairé par un candélabre où
brûlaient une profusion de cierges, et par des lampes de cristal, une sorte de
trône se dressait sous un baldaquin de pourpre frappé des armes de Bourgogne.
Sur ce trône, un homme était assis que Fiora reconnut aussitôt pour
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