Fiora et le Téméraire
par son serment de chevalier de la
Toison d’or et sa foi féodale... cet homme enfin que Démétrios et elle-même
avaient juré de tuer. Et voilà qu’elle était à présent sa prisonnière et que c’était
lui qui, peut-être, la ferait mourir. Mais, au fond, c’était sans importance...
à condition, toutefois, que le destin ne la remît pas en présence de
Philippe... Il ne fallait pas que la blessure secrète se remît à saigner si
elle voulait affronter la mort d’un front serein.
CHAPITRE
X DEVANT NANCY...
Des
hauteurs du village de Laxou, Fiora vit s’étendre à ses pieds deux villes. L’une,
faite de tentes aux couleurs vives surmontées de flammes aux teintes assorties,
disposées autour d’une bâtisse à demi écroulée entre de minces tours pointues ;
l’autre, couronnée de fumées, dressait ses remparts et ses tours, défendus par
des fossés et des ouvrages de terre. Rangés en ligne devant l’une et sur les
murailles de l’autre, des canons tiraient dont le vacarme s’accompagnait de
cris. Des hommes s’agitaient de part et d’autre. En dépit du temps gris, on
voyait briller les armes et les cuirasses. Des hommes tombaient sur les
parapets des tranchées creusées devant la ville de toile et sur les boulevards [xiii] de la ville de
pierre dans laquelle on pouvait voir flamber, avec de hautes flammes rouges et
des nuages de fumée noire, ce qui devait être une maison...
Nancy
n’était pas une très grande ville. Cinq à six mille habitants vivaient dans ce
quadrilatère long d’environ six cents mètres sur quatre cents, mais c’était
tout de même la capitale du duché de Lorraine et une noble ville pour la
défense de laquelle ses princes avaient édifié de hauts murs dont de grands
hourds de bois protégeaient les créneaux. Peu de tours cependant : en
dehors de celles, jumelles, qui défendaient la porte de la Craffe – celle du
nord – et la porte Saint-Nicolas – celle du sud – et les deux poternes, celle
que l’on appelait Sarate et la poterne Saint-Jean, quatre tours seulement :
celle du Vannier au nord-est, celle de Sar au nord-est ; celle du Terreau,
plein ouest, et enfin la grande tour, véritable donjon qui commandait, au
sud-est, la route vers la commanderie Saint-Jean. Plus, bien sûr, celles qui
défendaient le palais ducal sur le long côté est regardant vers la Meurthe.
Cinquante
ans plus tôt, le duc Charles II, conscient des progrès de l’artillerie et du
fait que les vieilles murailles droites et les fossés ne formaient plus pour sa
ville une défense suffisante, avait ordonné, pour éloigner l’ennemi de la base
des remparts et protéger les portes tout en permettant des sorties, la
construction de ces « bellewarts » -ou boulevards. On avait renforcé
les loges de guet et, un peu plus tard, le duc Jean II avait érigé les tours
jumelles à poivrières d’ardoise qui défendaient la porte de la Craffe [xiv] . Et telle qu’elle
était, la capitale lorraine résistait fièrement aux assauts de l’armée
bourguignonne... Une armée qui, cependant, grâce à des contingents
luxembourgeois, comtois, savoyards et anglais, était redevenue puissante et
redoutable et qui, de Metz [xv] par le nord ou de Franche-Comté par le sud, pouvait recevoir aide et
ravitaillement, ce qui n’était pas le cas de la cité investie : dès le
début du siège, Campobasso avait capturé les troupeaux qui paissaient hors des
murs. Combien de temps, dans ces conditions et par cet automne froid et
pluvieux, Nancy résisterait-elle ?
Apparemment
insoucieux de la canonnade, Olivier de La Marche dirigea sa prisonnière vers l’immense
camp et traversa les divers quartiers où travaillaient nombre de corps de
métiers : armuriers, charrons, bourreliers, charpentiers, couteliers, boulangers,
bouchers et même un apothicaire. Une armée, c’était alors un gros bourg où ne
manquaient ni les tavernes ni les ribaudes dont le campement se trouvait un peu
à l’écart sur les bords de l’étang Saint-Jean. Le duc Charles en avait réduit
le nombre à trente par compagnie mais cela faisait encore pas mal de monde.
Avec
la tombée du jour – et le jour baissait vite par ce novembre maussade – les
bouches à feu cessèrent de tirer. Les assaillants regagnèrent leur camp en
rapportant leurs blessés, ceux tout au moins qui n’étaient pas au-delà de tout
secours humain. Dans la cité assiégée, les cloches de Saint-Epvre et
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