Fiora et le Téméraire
Dijon, articula-t-il lentement, vous avez besoin d’une
maison voisine de celle de du Hamel ? C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Fiora
se leva et s’avança vers le jeune homme dans les yeux de qui elle planta son
regard :
– C’est
bien cela mais je vous prie de ne pas vous en soucier.
– Vous
me demandez trop. Qu’avez-vous dans l’idée ?
– Je
pourrais vous répondre que c’est là mon affaire mais, après tout, vous avez
peut-être le droit de savoir. Hier, je crois vous avoir dit que je venais payer
de vieilles dettes ? Regnault du Hamel en est la plus criarde. J’allais me
rendre à Autun pour l’y chercher mais le ciel – ou l’enfer – a décidé de m’épargner
du chemin puisqu’il est ici. Et je ne quitterai cette ville qu’après l’avoir
purifiée de sa présence...
– Vous
voulez... le tuer ?
– Vous
traduisez à merveille mon intention.
– C’est
insensé...
– Je
ne crois pas. De toute façon, et quoique vous puissiez objecter, vous ne me
ferez pas changer d’avis.
Avec
effroi, Christophe la regarda, droite et fière en face de lui, si mince dans
cette robe noire qui la faisait plus longue encore, avec ses grands yeux gris
où semblaient voyager les nuages et cette allure d’altesse... Elle paraissait
plus inflexible qu’une lame d’épée et le jeune homme comprit qu’il ne
parviendrait pas à la faire céder. Alors, éperdu sans qu’il comprît vraiment
pourquoi cette jeune femme comptait tellement pour lui à présent, il se tourna
vers Léonarde et chercha son regard, espérant un secours de ce côté-là, mais
elle hocha la tête...
– Vous
pensez bien que j’ai déjà essayé...
– En
ce cas, décida Christophe, je reste. Je vous aiderai et ne partirai que lorsque
ce sera fait. Et si quelqu’un doit frapper, ce sera moi !
Sans
lui répondre, Fiora prit les deux mains du jeune homme et les retourna pour en
considérer la paume comme si elle tentait d’en déchiffrer le réseau de lignes
puis releva les yeux :
– Avez-vous
reçu les ordres majeurs ? demanda-t-elle doucement.
Sous
ce regard qui interrogeait sans dureté, Christophe rougit.
– Oui...
mais je ne le voulais pas. – Néanmoins, cela est ! Ces mains ont été
consacrées. Vous ne pouvez les souiller de sang...
– Et
que ferai-je d’autre à la guerre ?
– C’est
différent. Il y eut, il y a encore des moines-soldats. En outre, vous engagerez
votre vie dans les combats.
– Mais
je ne veux plus être moine du tout, ni soldat ni autrement. Je veux être un
homme libre de choisir son sort...
– Il
en sera comme vous voudrez, mon ami, mais du moins ne serez-vous pas souillé d’un
crime froidement prémédité. En outre, je ne laisserai à personne le bonheur de
frapper à ma place... Enfin, après ce meurtre, il y en aura d’autres qui me
conduiront peut-être un jour à l’échafaud. Je refuse de vous y entraîner car
voilà dix-sept ans que vous souffrez. Vous avez le droit de vivre comme vous l’entendrez
et cela me sera doux. Ne m’enlevez pas cette consolation qui sera peut-être ma
dernière bonne action !
– Je
vous en supplie, laissez-moi rester ! Je veillerai sur vous, je vous
protégerai...
– Nous
sommes là pour cela, intervint la voix grave de Démétrios qui venait d’entrer.
Donna Fiora a raison : vous devez aller vers votre destin et nous laisser
décider du nôtre. Partez sans arrière-pensée !
– Croyez-vous
que ce soit possible à présent ?
– J’en
suis certain. Cela est même nécessaire car il faut qu’un jour vous vous
trouviez en un certain lieu, à une certaine heure, pour payer la dette que vous
avez contractée aujourd’hui.
– Que
voulez-vous dire ?
– Il
arrive que le voile de l’avenir se lève, par moments, devant moi. Il viendra un
jour où il vous sera donné de rendre ce que vous avez reçu.
– Il
faut le croire ! assura Fiora. Il ne se trompe jamais... Quittons-nous à
présent... et priez pour nous !
Sans
un mot, Léonarde prit le manteau noir que Christophe avait déposé sur un
escabeau en pénétrant dans la chambre et le disposa sur ses épaules. Il se
laissa faire en fixant Fiora comme s’il ne pouvait plus en détacher son regard.
Mais il tressaillit quand Démétrios glissa dans son escarcelle quelques pièces
d’or puis le poussa vers la jeune femme :
– Allez
l’embrasser ! Il en est temps. Esteban vous attend dans la cour avec un
cheval. Dirigez-vous sur la
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