Fiora et le Téméraire
le soir même, tenant un luth d’une main et Battista Colonna de l’autre, elle
s’installa sur le coin d’un coffre dans la petite pièce qui servait d’antichambre
et, après un court conciliabule avec son jeune compagnon, entama le prélude d’une
chanson française déjà ancienne mais que l’on chantait un peu partout en
Europe. Gardant un œil inquiet sur la porte close, Battista se mit à chanter :
Le roi
Loys est sur le pont Tenant sa fille en son giron Elle lui demande un cavalier
Qui n’a pas vaillant six deniers...
Mais
cette première strophe n’était pas achevée que la porte volait plus qu’elle ne
s’ouvrait sous la main furieuse du Téméraire qui apparut, titubant, la bouche
mauvaise et l’œil injecté de sang :
– Qui
ose ici chanter un roi Louis quel qu’il soit ?
– C’est
moi, monseigneur, qui ai demandé à Battista de faire entendre cette mélodie,
dit Fiora tranquillement.
– Vous
vous croyez tout permis apparemment ? Je vous ai montré trop d’indulgente
faiblesse et...
– C’est
à vous-même que vous montrez trop de faiblesse, monseigneur. J’ai voulu vous
rappeler que, tandis que vous vous laissez aller à une mélancolie hors de
saison, le roi de France, lui, est toujours à l’ouvrage.
La
main levée pour frapper retomba sans force le long du corps et peu à peu la
fureur quitta le regard trouble que la jeune femme osait fixer. Le duc se
détourna enfin pour regagner sa chambre.
– Que
l’on aille chercher mes valets et que l’on m’apporte un bain ! ordonna-t-il.
Quant à vous deux, continuez à chanter mais trouvez autre chose !
Le
concert improvisé dura jusqu’à ce que Charles de Visen, le valet de chambre du
duc, vint dire aux jeunes musiciens que son maître venait de s’endormir et qu’ils
pouvaient rentrer chez eux. Il était minuit passé.
– Vous
avez fait là du bon ouvrage, leur dit Panigarola qui était venu s’installer
auprès d’eux pour les entendre. Je gage que la crise est passée et que demain
monseigneur aura retrouvé toute son activité.
Au
matin, en effet, après avoir expédié quelques dépêches dont l’une ordonnait de
prendre les cloches des églises de Bourgogne pour les porter aux fondeurs de
canons, le duc décida que l’on quitterait sur l’heure Nozeroy pour gagner
Lausanne où il voulait réunir la nouvelle armée avec laquelle il comptait aller
assiéger Berne, cheville ouvrière de son désastre, Berne où le magistrat le
plus influent de la ville, Nicolas de Diesbach, menait le parti français avec
son compère Jost de Silinen, tous deux amis personnels de Louis XI.
– Tant
que je n’aurai pas détruit Berne, les armes de Bourgogne ne retrouveront pas
leur éclat, déclara le Téméraire, et il se lança dans la préparation minutieuse
de cette nouvelle campagne où il espérait restaurer sa gloire ternie.
Le
Grand Bâtard Antoine et le prince de Tarente, qui avaient réussi à regrouper
une partie des fuyards, choisirent d’installer le camp sur un large plateau
dominant le lac Léman entre Romanet et Le Mont. On y monta la grande maison de
bois qui avait abrité le duc Charles devant Neuss et qui, moins somptueuse sans
doute que les pavillons perdus, en offrait tout autant de confort. Autour de ce
bâtiment campèrent les nouvelles troupes que l’on avait commandées. Il en vint
trois mille d’Angleterre, six mille de Bologne, six mille de Liège et du
Luxembourg, enfin six mille « Savoisiens » que la duchesse Yolande
amena elle-même, de Genève, à son allié le duc de Bourgogne.
La vue
de cette belle femme blonde, qui avait à peu près l’âge du Téméraire, étonna
Fiora. Elle ne ressemblait en rien à son frère Louis XI et montrait une
féminité épanouie et rayonnante qui n’était pas sans charme. En la voyant s’avancer,
souriante et les deux mains tendues vers son allié préféré, Fiora comprit
soudain pourquoi cette princesse française joignait ses armes à celles du pire
ennemi de son frère.
– Elle
l’aime, n’est-ce pas ? dit-elle à Panigarola.
– Cela
n’a jamais fait pour moi aucun doute mais je la trouve bien imprudente. Le roi
Louis est à Lyon et rassemble une armée de ses fidèles Dauphinois à Grenoble.
Quant à mon maître, le duc de Milan, je sais qu’il a envoyé des messagers à
Louis pour lui proposer un accord... et tenter de s’approprier la Savoie.
– Est-ce
que vous ne devriez pas prévenir le duc
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