Fiora et le Téméraire
il
parlait, il parlait, lui si volontiers silencieux. Il expliquait : cette
bataille de Grandson n’était qu’un accident dû à la lâcheté de ses soldats
italiens d’abord mais aussi picards, anglais et wallons. Dès qu’il aurait
reconstitué de nouvelles troupes, avec d’authentiques braves cette fois, il
retournerait combattre les Suisses :
– Dans
huit jours au plus, déclara-t-il à Panigarola sidéré, nous reformerons le camp
à Salins, à deux lieues d’ici. Olivier de La Marche à qui j’en ai écrit et qui
doit être guéri prendra toutes les dispositions nécessaires...
Puis,
se tournant vers Fiora qui le regardait avec de grands yeux incrédules :
– Pour
votre première guerre vous n’avez pas eu de chance mais je vous promets que
vous verrez mieux bientôt... très bientôt.
– Monseigneur,
murmura-t-elle, pardonnez-moi d’oser vous questionner mais... sait-on des
nouvelles de... du comte de Selongey ?
La
flamme de gaieté factice se voila dans les yeux sombres du duc Charles.
– Non...
et pas davantage de mon frère Antoine avec lequel il combattait. J’espère
sincèrement qu’aucun mal ne leur est advenu car j’ai vu disparaître dans la
mêlée le prince d’Orange qui avait aussi en charge une partie de l’avant-garde...
Peut-être aurons-nous bientôt des nouvelles.
On en
eut vers la fin du jour quand le Grand Bâtard Antoine fit son entrée dans la
ville, amenant avec lui un fort escadron. A son côté, chevauchait Mathieu de
Prame, livide et les yeux encore bouffis de larmes, qui vint s’abattre plutôt
que s’agenouiller devant le duc. Ce qu’il avait à dire tenait en peu de mots :
il avait vu Philippe de Selongey tomber, submergé par ce qui ressemblait à une
lame de fond mais, emporté lui-même par l’irrésistible reflux suscité par la
panique, il lui avait été impossible de lui porter secours et pas davantage de
rechercher son corps.
De
derrière lui, Charles entendit un faible cri, à peine une plainte. Se
retournant, son regard rencontra celui de Fiora dilaté par la douleur. Elle ne
pleurait pas, ne vacillait pas comme il arrive lorsque l’on va s’évanouir ;
elle semblait changée en statue et seul le léger tremblement de ses lèvres
disait qu’elle vivait encore. Alors, passant un bras paternel autour des
épaules tétanisées :
– Viens,
mon enfant, dit-il avec beaucoup de douceur, viens ! Allons pleurer
ensemble...
Et il
sortit avec elle...
CHAPITRE XIII DANS UNE TENTE
ABANDONNÉE…
Une
étrange amitié se noua, dès lors, entre ce souverain rongé par tous les démons
de l’orgueil et de la honte, auquel sa lourde défaite venait d’enseigner le
doute, et cette jeune femme qui avait perdu son unique raison d’espérer. Nul ne
put jamais savoir ce qui se dit durant les longues heures qu’ils passèrent
ensemble dans la petite chapelle du château sous la garde du seul Battista
Colonna, raide d’orgueil en dépit de la fatigue qui le ravageait...
Au
matin, Fiora, les yeux secs et résolus, tendit à Léonarde une paire de ciseaux
et lui ordonna de lui couper les cheveux à la hauteur du cou, à la mode
italienne :
– Le
duc Charles, déclara-t-elle pour mettre fin aux protestations de sa vieille
amie, a juré de ne plus raser sa barbe tant qu’il n’aura pas vengé son honneur
et tiré des Suisses une éclatante revanche. Moi, je ne quitterai plus le
costume de garçon parce que j’ai résolu de suivre monseigneur partout où il ira
jusqu’à ce que...
– Jusqu’à
ce que la mort vous prenne comme elle a pris messire Philippe ? fit
Léonarde navrée. Oh, mon agneau, n’existe-t-il pas d’autre chemin pour vous que
celui-là ? Vous êtes si jeune !
– Quelle
voie voudriez-vous que je suive ? Celle du couvent comme font beaucoup de
celles dont le cœur ne peut guérir ? Je n’en ai jamais eu le goût et l’ai
moins encore à présent s’il se peut.
– Qui
vous dit que votre cœur ne guérira jamais ? Souvenez-vous : quand
vous avez connu le comte de Selongey, vous étiez amoureuse de Giuliano de
Médicis et très jalouse de monna Simonetta ?
– J
aimais tout ce qui brillait et Giuliano brillait de tant de feux ! Mais
ils se sont éteints quand Philippe est apparu et j’ai compris alors que je n’aimais
pas Giuliano...
– Combien
j’aurais souhaité que vous ne l’apprissiez jamais ! soupira Léonarde !
Mais pour en revenir au duc, n’aviez-vous pas juré
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