Fiora et le Téméraire
par dame Symonne, un coureur
qui ne devait pas avoir besoin de beaucoup courir pour attraper sa chance. S’il
était à ce point entouré et couvert de femmes, quelle place elle-même
pouvait-elle espérer tenir dans un cœur ainsi assiégé ?
Pourtant,
devant Dieu et devant la loi florentine – à défaut de celle des hommes – devant
l’amour aussi, elle était bien réellement sa femme, et le lourd anneau d’or aux
armes des Selongey pendait toujours entre ses seins, au bout de sa chaîne d’or.
Fiora tira sur le mince lien précieux pour prendre la bague dans sa main. Elle
était pesante, chaude de sa propre chaleur, presque vivante... Fiora la baisa
comme elle eût baisé la bouche de Philippe...
Où
était-il à cette heure ? Quelque part en Luxembourg où le gros de l’armée
se réunissait dans l’intention d’occuper la Lorraine ? A Bruges, où l’on
disait que le duc Charles réunissait les États de Flandres pour en obtenir une
aide de guerre en hommes et en argent ? Quoi qu’il en soit, il n’était
pas, il ne pouvait pas être à Selongey où, cependant, Fiora savait bien qu’aucune
force humaine ne l’empêcherait de se rendre une fois qu’elle en aurait fini
avec ceux de Brévailles...
En les
évoquant, sa pensée revint tout naturellement à Marguerite et s’interrogea :
qu’éprouvait-elle au juste pour cette demi-sœur tombée du ciel ou, plutôt,
remontée des Enfers ? De la pitié, bien sûr, et aussi de la sympathie,
toute la compassion du monde, mais, à vrai dire, cela n’allait pas beaucoup
plus loin. La voix du sang ne s’était pas encore manifestée alors qu’elle avait
plaidé hautement, spontanément, en faveur de Christophe.
Honnête
avec elle-même, Fiora se reprocha cette tiédeur qui venait peut-être du fait qu’il
avait été impossible, jusque-là, de communiquer réellement avec la prisonnière
libérée. Etait-ce à cause de ce long nez pointu signant son unique ressemblance
avec un père qui n’en méritait pas le titre ? De toute façon, qu’elle l’aimât
ou non était de peu d’importance : elle n’était pas destinée à vivre avec
Marguerite, et, à cela au moins, Fiora était bien déterminée.
Aux
approches de l’aube vint la fraîcheur. Otant ses vêtements, la jeune femme alla
s’étendre sur son lit pour se laisser baigner par elle. Sa tête était un peu
lourde, d’avoir sans doute respiré trop longtemps l’odeur délicieuse d’un tilleul
qui s’épanouissait dans un jardin voisin. Elle découvrait que cette terre de
Bourgogne pouvait être enivrante et qu’il devrait être doux d’y vivre à la
condition d’être deux...
Un
instant, Fiora caressa l’idée d’aller s’installer à Selongey pour y attendre
patiemment le retour de Philippe. L’expression de son visage au moment où il la
reverrait répondrait sans doute à toutes ses questions. Mais comment subsister
là-bas ? Comment y arriver aussi démunie qu’une pauvresse, elle que
Philippe avait connue si riche ? Démétrios n’était pas seul à se
tourmenter pour les jours à venir. L’or du Magnifique fondait à vue d’œil.
Bientôt s’imposerait une visite rue des Lombards, à Paris, au comptoir qu’Agnolo
Nardi tenait pour son frère de lait et où, si Lorenzo de Médicis n’avait pas
trompé Fiora, des fonds seraient déposés à son nom. Et puis, il y avait le
serment qui la liait à Démétrios, ce serment qu’ils avaient sacralisé en mêlant
leur sang. Fiora pouvait d’autant moins le transgresser qu’elle jalousait et
haïssait le Téméraire presque autant que l’ancien médecin de Byzance. Seule, sa
mort pourrait libérer Philippe du sortilège qui le retenait captif et,
peut-être, le ramener à Fiora... s’il ne s’était pas fait tuer avant pour la
plus grande gloire de son prince ! Mais elle chassa cette idée funeste. Si
Philippe ne respirait plus quelque part sous le ciel, un pressentiment l’en
aurait avertie. Elle aurait senti qu’une partie d’elle-même avait cessé de
vivre...
– Dès
que Marguerite sera suffisamment remise, décréta-t-elle, nous partirons pour
Brévailles...
Et,
forte de cette résolution, elle tomba d’un seul coup dans le sommeil tandis que
résonnait au loin le premier chant du coq...
CHAPITRE IV LA VENGEANCE
APPARTIENT AU SEIGNEUR
« Renonce,
Fiora ! », dit soudain Démétrios en rapprochant son cheval de celui
de la jeune femme. Ils allaient en tête de la petite
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