Fiora et le Téméraire
me conduiriez. Vous seriez, pour l’étranger que je suis, une bonne
introduction...
– Vous
n’en avez nul besoin. Quant au chemin, je vous donnerai demain le jeune
Florent. Il connaît parfaitement la région et vous mènera à bon port. Je dois,
quant à moi, rester ici car demain, à la Maison aux Piliers, messire Robert d’Estouteville,
prévôt de Paris, réunit les chefs de corporations et les principaux bourgeois
pour délibérer de l’aide qu’ils pourraient apporter au cas où notre cité serait
assiégée...
– Un
conseil de guerre ? La situation serait-elle plus grave que vous ne l’avez
laissé entendre ?
– En
aucune façon et je ne vous ai rien caché, de ce que je sais tout au moins, mais
un vieil axiome latin enseigne : Si vis pacem para bellum — Si tu
veux la paix, prépare la guerre. C’est exactement ce que nous allons faire.
Agnolo
Nardi et Démétrios devisèrent encore de longues minutes sous la tonnelle du
jardin, tout en dégustant leur vin. C’était l’un de ces instants précieux où
les hommes venus d’horizons différents s’entendent et se comprennent et où l’existence
paraît plus précieuse. Tout était calme dans la maison de la rue des Lombards.
Agnelle aidée de Fiora rangeait les pièces d’une lessive nouvellement repassée,
Léonarde dormait, toute douleur ensevelie dans le sommeil. Esteban en faisait
autant sur la paille de l’écurie et, dans les bureaux du négociant, chacun
vaquait à sa besogne : les plumes d’oie grinçaient presque en mesure sur
les grands livres reliés de parchemin. Seul, Florent rêvait. Assis sur une
marche de l’escalier, il regardait Fiora qui, tout en bavardant, passait à son
hôtesse les piles de nappes et de serviettes que celle-ci serrait dans les
coffres de la grande salle. Vêtue d’une simple robe de lin blanc bordée d’une
mince guirlande de feuilles vertes que Chrétiennotte lui avait confectionnée à
Dijon,
la masse lustrée de ses cheveux noirs tordue en une simple natte retombant sur
une épaule, elle ressemblait plus que jamais à la princesse de quelque fabliau
et le jeune homme la dévorait des yeux. Sans d’ailleurs qu’elle s’en aperçût.
Ce fut Agnelle qui remarqua le regard gourmand du garçon et s’en montra irritée :
– N’as-tu
rien d’autre à faire qu’à rester assis à bâiller aux corneilles ? Je te croyais
au jardin ?
Florent
se releva avec une mauvaise volonté évidente et grogna.
– Maître
Agnolo y est avec le grand homme noir et m’a signifié de rentrer.
– Sans
nul doute avec l’idée de t’envoyer travailler ! Va te laver les mains et
te coiffer et puis retourne à ton pupitre. Je commence à regretter de t’avoir
confié le jardin...
Florent
partit en direction de la cuisine, se tordant le cou pour voir un peu plus
longtemps celle qu’il nommait intérieurement sa « belle dame ».
Agnelle hocha la tète, haussa les épaules avec un brin de commisération et
revint à sa tâche :
– Ce
garçon est assotté de vous, ma mie. J’ai bien peur qu’il ne soit plus bon à
rien.
– Il
m’oubliera dès qu’il ne me verra plus ! Malheureusement la jambe de ma
bonne Léonarde va me retenir ici encore quelque temps et nous n’avons pas fini
de vous encombrer.
– M’encombrer ?
Doux Jésus ! C’est un vrai plaisir de vous avoir et je suis ravie de
pouvoir profiter plus longtemps, de votre présence. Sans cet accident
déplorable, vous partiez ce matin, n’est-ce pas ?
– Oui.
Messire Lascaris m’est très proche et nous ne nous séparons jamais. Il a pris
pour ainsi dire la place de mon cher père dont le souvenir ne me quitte pas.
– Assurément,
mais ne serait-ce pas plutôt à un époux de combler ce vide ? Si jeune, si
belle, vous n’êtes pas faite pour courir les grands chemins. Quelque seigneur
saura bien, un jour, conquérir votre cœur ? ...
– Je
ne le crois pas et d’ailleurs je ne le souhaite nullement. L’amour cause plus
de blessures qu’il n’apporte de joie. Demandez à ce jeune Florent.
– J’ai
grande envie de l’expédier à Suresnes pour lui changer les idées. J’en parlerai
ce soir à mon époux...
Mais
elle n’eut pas besoin d’en parler, l’état de Léonarde se révélant tout à fait
satisfaisant, Démétrios et Esteban prirent dès le lendemain matin congé de la
maison Nardi. Et Florent fut chargé de les conduire à Compiègne.
Non
sans regrets ! Quand vint l’heure du
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