Fiora et le Téméraire
demain, s’écria Fiora dont un flux de sang venait de rougir
soudain les pommettes.
– La
place d’une jeune dame, et même d’une dame tout court, n’est pas dans un camp,
dit Agnelle. Je serais si heureuse de vous garder quelque temps ici ! Juste
le temps de voir comment les choses vont tourner. Notre roi est tout à fait
capable d’éviter la guerre mais, pour l’instant, il y a trop de soldats...
– C’est
que... nous ne nous sommes jamais séparés !
– La
séparation ne sera pas bien longue. Compiègne n’est pas si loin. En outre, le
roi serait peut-être mécontent de voir arriver une femme...
– Deux
femmes ! rectifia Léonarde. Je ne quitte jamais donna Fiora...
– Agnelle
a raison, fit son époux arrivant à la rescousse. Les seules femmes que l’on
trouve au camp sont les ribaudes que toute armée traîne après elle. Vous serez
mieux ici...
Fiora
ne broncha pas : elle n’était pas convaincue. D’ailleurs comment dire à
ces braves gens qu’elle avait conclu avec Démétrios le pacte du sang en vue d’abattre
à eux deux le grand duc d’Occident ? A Compiègne les deux justiciers se
rapprocheraient de leur but et ce qu’elle venait d’apprendre fortifiait la
jeune femme dans sa décision. Tuer le Téméraire serait accomplir infiniment
plus qu’une vengeance, ce serait sauver Paris, sauver la France du grave danger
que représenterait pour elle la jonction des armées anglaises et
bourguignonnes. La pensée d’atteindre du même coup Philippe qui, peut-être,
accompagnait son duc ne fit que l’effleurer et elle la repoussa avec colère
comme importune, la haine comme la passion étant de mauvaises conseillères.
Fiora, à cet instant, croyait naïvement haïr Philippe presque autant qu’elle l’avait
aimé...
Au
matin d’une nuit peu reposante car elle ne dormit guère, Fiora en s’éveillant
trouva la chambre vide mais se rappela que Léonarde avait, la veille, demandé à
leur hôtesse l’heure de la première messe à l’église voisine. Elle se leva, fit
une toilette rapide, le bain de la veille permettant d’écourter les ablutions.
Elle en était à hésiter sur ce qu’elle allait revêtir quand un brouhaha de cris
et de paroles volubiles l’attira à la fenêtre. Ce qu’elle vit l’épouvanta :
un groupe d’hommes portait vers la maison une Léonarde gémissant à fendre l’âme.
Fiora alors se jeta sur la première robe qui lui tomba sous la main et, tout en
la laçant, se précipita dans l’escalier. Elle arriva juste à temps pour voir le
cortège franchir le seuil de la maison.
– N’ayez
pas peur ! lui cria Agnelle qui soutenait la tête de Léonarde, elle n’est
pas en danger mais je crois qu’elle a une jambe cassée.
– Comment
est-ce arrivé ?
– Bêtement,
comme toujours en pareil cas : en sortant de l’église, elle a glissé sur
le pavé et sa jambe est venue cogner contre la roue d’un tombereau. Elle
souffre beaucoup.
La
pauvre Léonarde était, en effet, aussi blanche qu’une feuille de papier et de
grosses larmes roulaient lentement sans qu’elle pût les retenir. Elle s’accrocha
désespérément à la main de Démétrios qui, alors occupé à boucler ses sacoches,
était accouru au bruit :
– Vous
n’allez pas me couper la jambe, n’est-ce pas ? supplia-t-elle. Vous n’allez
pas faire de moi une infirme ? ...
– Calmez-vous,
je vous en prie. Nous n’en sommes pas là... Il faut que j’examine votre pied.
– Mais
vous deviez partir ?
– Je
partirai plus tard et voilà tout ! Le roi m’attend depuis assez longtemps
déjà. Un peu plus, un peu moins... Vous n’imaginez pas que je vais vous laisser
dans cet état ?
On
porta Léonarde sur le lit qu’elle partageait avec Fiora. Démétrios jeta à
celle-ci un regard rapide :
– Tu
vas m’aider. Il faut au préalable la déchausser... Le pied formait avec la
jambe un angle anormal et apparemment très douloureux. Retirer le soulier fut
relativement facile, mais il fallut couper le bas blanc taché de sang qu’une
mince esquille d’os transperçait. La blessure était mince et saignait peu :
– Le
pied n’est que déboîté, diagnostiqua le médecin après avoir promené des doigts
agiles sur les os, mais il y a fracture ouverte. Et très douloureuse.
Pouvez-vous, dame Agnelle, installer ici même une table recouverte d’un drap...
– Bien
sûr. Tout ce que vous voudrez... Je ferai aussi apporter des éclisses de
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