Fiora et le Téméraire
l’accompagner à Liège et à
assister à la punition de ses habitants... qui étaient pourtant ses amis de la
veille. Il serait resté fort serein, en la circonstance, à ce que l’on dit...
– C’est
un étonnant comédien et j’avoue qu’elle me fascine, cette « universelle
aragne » qui tisse patiemment, soigneusement la toile où les insectes
étourdis se feront prendre. Après Péronne j’ai accompli pour le Téméraire
diverses missions en Angleterre, en Bretagne, en Castille, sans jamais recevoir
autre chose que des critiques amères ou des rebuffades. En même temps, je
voyais se développer une politique impitoyable et démentielle. De quoi le
Téméraire n’a-t-il pas rêvé ? L’Empire ! L’hégémonie de l’Europe !
Obtenir de l’empereur Frédéric III qu’il le reconnaisse pour son héritier en
lieu et place de son propre fils ! A présent, le royaume pour lequel il
lui faut la Lorraine qui unirait les pays de par-deçà aux pays de par-delà...
mais j’étais déjà parti. Une mission inutile où j’ai failli laisser ma vie pour
rien m’a décidé : le roi Louis m’appelait. Dans la nuit du 8 au 9 août
1472, il vient d’y avoir trois ans, je l’ai rejoint en Anjou, aux Ponts-de-Cé.
Et je ne regrette rien...
– Qu’adviendrait-il
de vous si d’aventure le Téméraire s’emparait de vous ? fit Démétrios.
– Ma
fin serait sans doute exemplaire. D’ailleurs, en attaquant le roi, Philippe de
Selongey escomptait faire coup double et me ramener chargé de chaînes car il
veut ma mort plus encore, je crois, que son maître. Malheureusement pour lui,
je n’apprécie guère la chasse... et c’est lui qui est captif à présent.
– Vous
le connaissez bien ? murmura Fiora.
– Assez
bien en effet. Il n’a que deux ans de plus que moi et nous avons été longtemps
compagnons d’armes. Cependant nous n’avons jamais été de vrais amis : nous
sommes par trop différents.
– Néanmoins,
il vous est peut-être arrivé de rencontrer sa femme ?
La
surprise que manifesta Commynes était trop absolue pour n’être pas sincère.
– Sa
femme ? Je n’ai jamais entendu dire qu’il fût marié ! A ma
connaissance, il a refusé nombre de partis, parfois brillants, mais il n’aurait
eu que bien peu de temps à consacrer à cette malheureuse...
– Pourquoi
dites-vous malheureuse ?
– Ce
n’est pas un destin bien plaisant que de vivre isolée dans un château
bourguignon ou d’augmenter le cercle de dames éloignées de leurs époux qui
entourent, à Gand, à Bruges, à Bruxelles ou à Lille la duchesse Marguerite et
sa belle-fille Marie. L’époque n’est guère propice à la félicité des couples !
Ainsi de moi : depuis deux ans et demi que j’ai convolé, je n’ai guère
rencontré dame Hélène, ma belle épouse. Quand elle n’est pas auprès de la reine
Charlotte qui vit à Amboise avec ses enfants, elle réside sur cette terre d’Argenton
qui m’est venue d’elle et où elle se plaît.
– Et...
vous ne lui manquez pas ? lança Fiora avec un brin d’insolence.
– Si
c’est le cas, elle est trop sage et trop bien élevée pour jamais l’exprimer.
– Alors,
changeons la proposition s’il vous plaît : elle ne vous manque pas ?
Commynes,
toute sa bonne humeur retrouvée, éclata de rire :
– Je
vois qu’il faut vous faire plaisir, donna Fiora ! Je pourrais vous dire
que notre sire ne m’en laisse ni le temps ni le loisir et ce serait vérité.
Pourtant, il m’arrive, certains soirs quand la campagne sent bon et que le ciel
est plein d’étoiles, de regretter son absence car elle est douce, jolie et fraîche...
aussi blonde que vous êtes brune... mais de caractère beaucoup plus paisible,
si vous me pardonnez cette petite méchanceté.
Il
commençait à se faire tard. Commynes, qui venait de liquider un saladier de
fraises et de mûres en le faisant passer avec trois doigts d’une bonne
eau-de-vie de prune, prit congé de ses nouveaux amis et rejoignit la chambre qu’on
lui avait préparée. Fiora écouta décroître le bruit de ses pas dans la longue
galerie, dominant la cour centrale, qui desservait les divers appartements
puis, s’étant assurée que le sire d’Argenton était bien rentré chez lui, elle
revint vers Démétrios qui, accoudé à la fenêtre, écoutait les cloches de la
cathédrale proche sonner le couvre-feu, ayant auparavant soufflé les chandelles
qui éclairaient la table. Mais la nuit
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