Fiora et le Téméraire
rejoindre les
colonies juives de Francfort ou de Cologne. Seuls, quelques vieux restaient
pour le service de l’antique synagogue et ils étaient les seuls, dans une ville
où Campobasso faisait peser une férule impitoyable, à se féliciter de sa
présence. Habitué depuis toujours aux ghettos des cités italiennes, le
commandant de la place n’avait pas jugé utile d’exterminer quelques vieillards
qui avaient d’ailleurs eu la bonne idée de lui acheter leur tranquillité.
Galeotto
rejoignit son ami près de la fenêtre et considéra un instant la grisaille
extérieure :
– Que
trouves-tu de si passionnant à regarder tomber la pluie sur la rivière ?
– Ce
n’est pas la pluie que je regarde : ce sont nos hommes. Ils sont tous nés
au-delà des Alpes et ils sont tous aussi malheureux que moi.
– Malheureux ?
En voilà un mot dans ta bouche ! Qu’est-ce qui te gêne ?
– Tout !
Et d’abord cette ville où tout est noir ! Noir comme cette terre où il ne
pousse rien...
– Mais
qui nous donne du fer avec lequel on forge des armes. Ce n’est pas un mince
avantage.
– Tu
crois ? Moi je donnerais tout le fer du monde pour revoir la baie de
Naples et mes collines sous le soleil...
– Nous
sommes condottieri, fit Galeotto en haussant les épaules avec philosophie. Un
jour ici, un jour là et si la paye est bonne...
– Tu
la trouves bonne, toi ? Nous n’avons rien touché depuis Neuss où nous
espérions si beau butin. Ensuite, nous sommes venus ici pour nous refaire mais
le pays n’est pas celui de Cocagne. N’importe, nous espérions la France que
nous devions conquérir de compte à demi avec les Anglais et tu as entendu ce qu’a
dit ce moine que nous avons pris ce matin : le roi Edouard, gavé d’argent
et de vins français, a repassé la mer et nous, nous restons là comme des
imbéciles dans ce nid à chauves-souris suspendu au-dessus de la Lorraine...
dans laquelle nous n’avons pas le droit d’entrer !
– Il
y a pourtant des Bourguignons en Lorraine. Nous tenons quatre villes...
– Nous ?
As-tu oublié que nous ne sommes que des mercenaires ? Le duc Charles
réserve les bonnes places à ceux de son proche entourage, à des seigneurs nés
sur son terroir, pas à des coureurs d’aventures comme nous...
– Nous
n’en avons pas moins un poste de confiance. Et la place n’est pas si mauvaise...
ou bien es-tu en train de me dire que tu préférerais servir le roi Louis ?
Alors là je t’arrête ! Louis XI n’a que faire de nous. Il possède
peut-être la meilleure armée du monde, une armée permanente entretenue toute l’année
sur le pied de guerre et il ne s’en sert même pas. Celui-là, c’est avec sa
cervelle qu’il se bat !
– Il
a pourtant des mercenaires. Sa fameuse Garde Écossaise...
– La
plupart de ses hommes sont nés en France. Ils sont devenus plus français que
les vrais...
– Mais
ils sont couverts de privilèges, d’honneurs et d’or...
– Sans
doute mais ils sont fidèles, ce que nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Après
tout fais-toi écossais si le cœur t’en dit !
– Ne
sois pas stupide. Nous avons l’un et l’autre des hommes qui attendent de nous profit
et gloire. Si nous...
L’entrée
d’un page trempé dont les longs cheveux noirs dégouttaient d’eau sous un bonnet
à la plume réduite de moitié lui coupa la parole. C’était un garçon d’une
douzaine d’années, beau comme un ange mais dont le regard insolent avouait une
assurance nettement au-dessus de son âge et de sa condition. Ce regard ignora
Galeotto pour se poser, câlin et vaguement complice sur Campobasso qui sourit :
– Que
veux-tu, Virginio ? -J’apporte des nouvelles, Monseigneur...
– Des
nouvelles du duc ? s’écria le condottiere avec une hâte qui lui mit le feu
aux joues.
Le
page haussa les épaules :
– Rien
d’aussi important, Monseigneur. Trois voyageurs viennent d’arriver à la porte
de France : deux hommes et une femme. La femme dit qu’elle est votre
cousine.
– Ma
cousine ? Du diable si j’ai encore une cousine ! Comment est-elle ?
Jeune ? -Je crois... -Belle ?
Le
page haussa de nouveau les épaules avec un dédain qui amusa Galeotto.
– A
ta place, fit-il, je demanderais à voir. Ce cher Virginio est mauvais juge en
matière de femmes. Et puis une cousine qui t’arrive ainsi du bout du monde,
cela mérite quelques égards.
– Si
Monseigneur dit qu’il ne la connaît
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