Fiora et le Téméraire
lorsqu’il prenait la tête de cette fameuse Ligue
du Bien Public montée contre le roi de France et dont faisaient partie Jean de
Calabre, alors duc de Lorraine, et son fils Nicolas. Il s’en fallait de deux
ans que Charles ne s’installât sur le trône de son père mais son arrogance et
sa splendeur séduisirent Campobasso. Devenu le Grand-Duc d’Occident, il l’éblouit.
Résultat :
toujours en cette année 1473 mais en décembre, le Téméraire mettait pied à
terre dans la cour du château de Pierrefort où le condottiere l’accueillait. Le
Bourguignon n’eut aucune peine à détourner son hôte du service de « l’Enfant »,
car celui-ci n’attendait que cela. Royalement payé et couvert de présents par
le plus fastueux des princes, Campobasso accepta le poste de commandement des
troupes lombardes qu’il se chargeait d’aller recruter à Milan.
En
dépit des apparences, c’était à peine une trahison. Charles de Bourgogne se
disait le meilleur ami du jeune René qu’il avait obligé à accepter sa
protection « contre les menées du roi de France ». Protection qui
coûtait au jeune souverain quatre de ses meilleures villes où s’installèrent
des garnisons « protectrices », essentiellement bourguignonnes et
entièrement tyranniques.
« L’Enfant »
cependant ne s’y trompa pas et, trois mois plus tard, il faisait incendier le
donjon de Pierrefort en l’absence de son propriétaire – il n’eut pas le temps
de détruire le reste – privant ainsi le château du Napolitain de sa meilleure
défense.
Pour
consoler Campobasso le Téméraire lui promit que, la Lorraine soumise, il
pourrait choisir telle ville qui lui conviendrait. Son intention était en effet
d’écraser le petit duc pour s’assurer ses terres qui étaient le meilleur lien
pour unir les Pays-Bas à la Bourgogne proprement dite.
Promesse
encore à tenir, en cette fin d’année 1475, car, depuis, le Téméraire n’avait
cessé de guerroyer et Campobasso de le servir avec un talent et une fidélité
qui semblaient à toute épreuve.
Jacopo
Galeotto était moins compliqué. Condottiere au service du duc de Milan, il
rejoignit sans se faire prier l’armée bourguignonne au siège de Neuss lorsque
Campobasso vint le lui demander. Les deux hommes étaient liés d’amitié et se
complétaient car, si l’un et l’autre étaient des guerriers endurcis et des
cavaliers émérites, Galeotto possédait un talent supplémentaire et bien utile :
c’était un ingénieur traînant après lui une troupe de charpentiers habiles à
construire tours de siège, béliers et autres machines de guerre – et ces engins
firent merveille au siège de Neuss mais sans parvenir à vaincre la résistance
acharnée des habitants et de la garnison. Galeotto, bien sûr, en conçut quelque
rancœur cependant que Campobasso commençait à se poser des questions. Il avait
vu la superbe armée bourguignonne bloquée durant des mois devant un caillou
têtu et s’y user sans résultat intéressant. Or, gagner à Neuss, c’était mettre
l’empereur à genoux et c’était ouvrir l’Allemagne à ses appétits. Au lieu de
cela, il avait fallu se replier sous la bénédiction d’un évêque italien ce qui
n’était qu’une mince consolation pour qui espérait un gros butin.
Campobasso
y pensait encore. Il y avait à présent deux grandes heures qu’il jouait aux
échecs avec son ami sans s’intéresser vraiment au jeu. Son esprit était
ailleurs. Soudain, il se leva. Si brusquement que l’échiquier se renversa. Les
pièces noires et blanches roulèrent sur le dallage qu’aucun tapis ne
réchauffait.
– C’est
malin ! grogna Galeotto. Le prochain coup, tu étais échec et mat mais tu
ne comprendras jamais que s’obstiner à défendre sa reine est une erreur.
– Excuse-moi.
Je joue mal, c’est vrai, mais je ne suis pas à ce que je fais.
– Où
es-tu alors ?
Sans
répondre, le condottiere alla jusqu’à l’une des fenêtres qui dominaient la
Moselle et en considéra un instant le flot vif qui reflétait un ciel
désespérément gris. Au-delà du pont gardé par ses mercenaires, il pouvait distinguer
quelques faibles lumières jaunes qui s’allumaient dans le vieux quartier juif
presque désert d’ailleurs car, si les ducs de Luxembourg avaient montré aux
enfants d’Israël une certaine tolérance, il n’en allait pas de même avec le duc
de Bourgogne. Les plus jeunes d’entre eux étaient partis pour
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