Fiora et le Téméraire
lesquelles ils étaient assis, l’ameublement se composait strictement d’un
grand coffre de bois noirci par le temps et de deux trophées d’armes anciennes.
Une tapisserie qui aurait gagné à être trois ou quatre fois plus grande et
quelques bannières aux couleurs passées accrochées très haut sous la voûte
faisaient ce qu’elles pouvaient pour réchauffer une salle construite pour les
grandes assemblées et où les deux hommes semblaient un peu perdus. Les
fenêtres, hautes et étroites, s’ouvraient au fond de profondes embrasures
comportant chacune deux bancs de pierre et il fallait vraiment un soleil
éclatant pour qu’elles donnassent un éclairage convenable. Par temps gris,
elles ne dispensaient qu’un jour pauvre auquel il convenait de suppléer. D’où
le feu et les bougies.
Les
deux hommes, pour différents qu’ils fussent, étaient également remarquables. L’un
était grand, bien bâti avec cette sorte de grâce animale des grands fauves.
Sous la tunique de daim noir qui le vêtait on devinait une musculature longue,
déliée, une souplesse d’homme entraîné à tous les exercices du corps. Ses épais
cheveux noirs s’argentaient aux tempes et adoucissaient un peu un visage aux
traits durs, au teint basané, sillonné de cicatrices qui en déparaient l’harmonie
classique, à l’œil noir, vif et perçant : c’était Campobasso. L’autre,
nettement plus petit mais bâti en force, avait la peau couleur de terre cuite
et les cheveux diversement colorés d’un qui a passé sa vie sous le soleil. L’œil
vif lui aussi mais d’un vert foncé qui devenait presque jaune autour de la
pupille, il ne quittait pratiquement jamais la cotte aux mailles brillantes qui
apparaissait sous un tabard rouge à ses armes : c’était son collègue et
ami, Galeotto.
Cola
di Monforte, comte de Campobasso, appartenait à une antique famille des
environs de Naples qui s’était attachée à la fortune de la maison d’Anjou. D’étranges
bruits couraient sur lui et les siens. On disait que son père était mort
lépreux et qu’il avait tué sa femme infidèle dont il avait eu cependant deux
fils. Quand, en 1442, le « bon roi René » qui régnait sur Naples et
sur la Lorraine avait été chassé, par Alphonse d’Aragon, de son royaume
méditerranéen sur lequel veillait le Vésuve, Campobasso, alors âgé de dix-huit
ans et attaché à la suite de Jean de Calabre, le fils aîné de René, ami de
surcroît de son fils Nicolas, avait quitté sans regret une terre pauvre et qui
ne rapportait guère pour les doux horizons de la Provence et de l’Anjou. Du
château de Tarascon à celui d’Angers, Campobasso avait suivi la fortune de
Nicolas de Calabre devenu duc de Lorraine à la mort de son père Jean. Cela lui
avait valu de devenir maître et seigneur du château de Pierrefort, à
Martaincourt, une vigoureuse forteresse dominant de ses hautes murailles la
pittoresque vallée de l’Esch où il tenait garnison comme un prince. En effet,
condottiere dans l’âme, attaché à la guerre autant qu’à l’argent, Campobasso n’était
pas parti seul de ses terres campaniennes mais avec quelques-uns de ses vassaux
qui lui composaient l’agréable début d’une petite armée avec laquelle il
convenait de compter car, bien équipée et bien entraînée par un homme pour qui
les armes n’avaient plus de secrets, elle composa rapidement une « condotta »
de valeur.
Peut-être
Campobasso serait-il demeuré fidèle à la maison d’Anjou si, à la fin de juillet
1473, le jeune duc Nicolas n’était mort subitement. Si vite même que l’on parla
d’empoisonnement mais il fallait un successeur. La noblesse lorraine porta la
couronne ducale à la fille aînée du vieux roi René, Yolande, veuve du comte
Ferry de Vaudémont, mais celle-ci ne souhaitait pas régner : elle vivait
de ses souvenirs dans son château de Joinville. Cependant elle avait un fils de
vingt-deux ans auquel, tout naturellement, elle transmit ses droits héréditaires.
Celui-ci devint le duc René II.
Mais
ce maître-là ne convenait pas à Campobasso. Il le jugeait trop frêle, trop
aimable, trop « damoiseau ». En revanche, quand en septembre et à
Luxembourg, alors qu’il faisait encore partie de la garde de René II, il
rencontra le duc de Bourgogne, il pensa que c’était là le chef qui
correspondait à ses vœux. Il connaissait d’ailleurs le Téméraire pour l’avoir
rencontré, huit ans plus tôt,
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