Fiora et le Téméraire
mercenaires italiens sont des gens dont il
convient de se méfier.
– Pourquoi
seraient-ils moins honorables que d’autres ? demanda sèchement Fiora
atteinte dans son amour-propre florentin.
– Justement
parce que ce sont des mercenaires. Ils vont au plus offrant et, dans le combat,
sont fort ménagers de leur sang, plus encore de leur vie. En tout cas,
Campobasso n’a jamais passé pour un parangon de vertu. S’il en allait
autrement, voulez-vous me dire ce que nous ferions ici ?
– S’il
était si facile de le détourner de ses devoirs, voulez-vous me dire pourquoi l’on
m’aurait envoyée ? riposta la jeune femme. Un sac d’or aurait suffi. Cela
dit je suis... très heureuse de vous conserver comme guide.
– J’aimerais
bien en être sûr, marmotta l’Écossais en rendant la main à sa monture.
Un
moment plus tard, après de brèves palabres avec le capitaine commandant la
petite place de Doulcon qui, face à Dun, surveillait le vieux pont bâti jadis
par les légions romaines, et après avoir acquitté le droit de passage, Fiora et
ses compagnons franchissaient ledit pont pour entrer dans la ville. Celle-ci
marquait la frontière de l’ancien duché de Luxembourg devenu terre
bourguignonne depuis qu’en 1441 la duchesse Elisabeth de Görlitz l’avait cédé
au père du Téméraire. Pas pour son bien. La campagne se révélait plus misérable
peut-être que la Champagne, ravagée qu’elle était tour à tour par les Français
trop proches et par l’occupant bourguignon.
Contrairement
à ce que pensaient les trois voyageurs, ils n’eurent aucune peine à se faire
admettre. A la dernière étape, Fiora avait troqué son costume de garçon pour
une robe et une coiffure de femme. Sa beauté, son élégance et l’air martial de
ses deux compagnons impressionnèrent visiblement l’officier qui commandait la
garde du pont. S’il montra quelque surprise en se trouvant en face d’une noble
dame d’au-delà des Alpes et s’il émit quelques doutes sur l’agrément qu’elle
pouvait trouver à parcourir un pays à ce point abandonné du ciel, il s’inclina
lorsque la jeune femme dit calmement :
– Le
comte de Campobasso que vous connaissez peut-être est mon cousin et je désire
le rejoindre au plus tôt...
– Il
aura sans doute grande joie d’une aussi belle visite mais, jusqu’à Thionville
où il se trouve, le chemin n’est guère sûr pour une femme. Je serai heureux de
vous faire escorter car, s’il vous arrivait malheur, il ne me le pardonnerait
sans doute pas.
– Un laissez-passer sera amplement suffisant,
capitaine. Mon écuyer et mon secrétaire sont de taille à me défendre en cas de
mauvaise rencontre...
– Je
ne mets nullement en doute leur valeur mais un laissez-passer ne suffira pas si
vous tombez sur un parti de soldats en train de fourrager car la plupart ne savent
pas lire. Croyez-moi, le tabard de Bourgogne sur les épaules de deux solides
gaillards vous sera d’une plus grande aide que tous les papiers du monde.
Et c’est
ainsi que le lendemain, après avoir accepté pour la nuit l’hospitalité de l’officier
et enchanté sa mémoire pour de longues semaines, Fiora, qui s’en allait
travailler à la perte du duc de Bourgogne, quitta Dun sous la garde de ses
couleurs. Dans deux jours, si rien ne se mettait à la traverse, elle
rejoindrait celui dont elle avait mission de faire un traître...
Le
surlendemain, vers la fin du jour, deux hommes jouaient aux échecs dans la
salle haute du château de Thionville. Bien que le jour ne fût pas encore
éteint, un haut chandelier de fer forgé portant une douzaine de chandelles
éclairait le jeu d’ébène et d’ivoire. Dans la grandiose cheminée, un feu
flambait pour tenter de combattre l’humidité. Construit au siècle précédent
pour les ducs de Luxembourg, le château avec ses murs énormes était une solide
forteresse capable de supporter n’importe quel assaut. En effet Thionville et
sa région formaient un coin enfoncé dans le duché de Lorraine avec lequel les
Luxembourg n’étaient pas toujours d’accord. Il fallait que la cité et ses
défenses fussent à la hauteur de leur mission et elles l’étaient, mais le
confort intérieur avait ce quelque chose de Spartiate qui est l’apanage des
bâtiments militaires.
La
salle où jouaient les deux hommes n’échappait pas à cette règle. En dehors de
la petite table où reposait le jeu et des deux chaises à bras garnies de daim
sur
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