Fleurs de Paris
l’on savait au sujet de
l’attaque dont Barrot avait été victime. Ce qu’on savait se
réduisait à ceci : Barrot avait été trouvé, le matin de la
Noël, à six heures, par des maraîchers se rendant au marché
d’Angers, à vingt pas de la Héronnière, sur la route. Il avait été
porté à l’hôpital. Pendant quelques jours, on avait pu espérer,
sinon le sauver, du moins obtenir de lui des indications sur ses
assassins que la police recherchait inutilement. Mais Barrot
n’avait pu recouvrer le sentiment d’une manière assez prononcée
pour pouvoir être interrogé. Seulement, doué d’un tempérament
exceptionnel, il avait lutté contre la mort et prolongé son agonie
au delà de toute prévision. Enfin, depuis la veille, il subissait
des syncopes de plus en plus prolongées c’était la fin… Alors je
dis que Barrot était un de mes serviteurs et demandai
l’autorisation de le faire transporter dans une maison que je
possédais à Angers. On me répondit que le transport achèverait de
tuer le blessé… Alors je demandai que le lit de Barrot fût porté
hors de la salle commune, dans une chambre spéciale, et cela je
l’obtins. À force de sollicitations et d’argent, j’obtins également
de m’installer prés de lui – et on admira mon dévouement. Le lit de
Barrot, enlevé par huit hommes, fut porté dans une chambre
particulière, et je demeurai seul avec le blessé… espérant un
miracle.
– Et ce miracle que vous attendiez ne se
produisit pas ?
– Au contraire. Dieu permit qu’à l’heure
suprême, Barrot sortît de sa syncope pour me parler. La journée
s’était achevée, et je n’avais bougé de la chambre où râlait
doucement le blessé. Une grande partie de la nuit s’écoula. Vers
quatre heures du matin, je vis tout à coup que Barrot me regardait.
« – Est-ce que tu me vois ? lui demandai-je en tremblant.
– Oui ! – Est-ce que tu me reconnais ? – Oui !… –
Peux-tu parler ? – Je puis essayer, mais hâtons-nous, car je
vais mourir. – Courage, lui dis-je, tu ne mourras pas, puisque tu
reviens à toi. – Dans une heure, je serai mort… » Il me
regarda de ses yeux étrangement fixes… Écoute donc attentivement,
Valentine, car il est possible que quelque détail te rappelle cette
nuit de Noël et que tu puisses éclaircir un point demeuré
obscur…
– Ce point ? demanda Lise qui
tressaillit.
– Tu vas le comprendre tout à l’heure…
Barrot était venu à pied de Segré à Angers, en s’efforçant, fidèle
aux instructions qu’il avait reçues de moi, de brouiller sa piste.
Après un repos dans une misérable auberge d’Angers, il partit le
soir du 24 décembre pour gagner les Ponts-de-Cé. De là, son
intention était de descendre la Loire jusqu’à Ancenis où, certain
d’avoir dépisté toute recherche, il comptait prendre le chemin de
fer pour Nantes. Ensuite, il aurait, à pied, gagné Saint-Nazaire,
où il se serait embarqué pour l’Amérique. Il tenait Edmond par une
main, et toi, il te portait dans ses bras. Il m’a dit que tu
dormais. Quant à Edmond, il marchait sans rien dire ; le
pauvre petit était résigné ; Barrot m’a assuré que, par
fierté, l’enfant s’efforçait de ne pas pleurer ; il ne lui
adressait jamais la parole, et le regardait avec des yeux noirs de
colère lorsque Barrot essayait de plaisanter… Mais je vois que tu
veux me demander quelque chose, Valentine… parle, mon enfant…
– En effet, dit Lise, avec une étrange
tranquillité. Ce Barrot vous a-t-il dit que, par surcroît de
précautions, il avait changé quelque chose au costume des
enfants ?
– C’est une des questions que je lui
posai, et il me répondit qu’il n’y avait pas songé…
– Ainsi, reprit Lise, lorsque les
enfants, la nuit de Noël, furent entraînés sur la route des
Ponts-de-Cé, ils portaient le costume même dont vous les aviez
habillés au château ?
– Oui, les mêmes costumes…
– Avez-vous gardé un souvenir quelconque
de ces costumes ? Pourriez-vous me le dire ?
– C’est facile, dit le baron
d’Anguerrand, à qui ces questions causaient un trouble
extraordinaire. Edmond était habillé d’une culotte et d’une blouse
en petit velours gris, avec une ceinture de cuir à boucle d’argent.
Il était chaussé de fortes bottines qui, sous forme de guêtres,
montaient aux genoux. Il était coiffé d’un béret et couvert d’un
pardessus en drap gris.
– Et
moi
?
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