Fleurs de Paris
montré un soir. Je le
reconnaîtrais entre mille. Mais cela n’est rien. J’ai
particulièrement étudié sa manière de faire. D’après tous les coups
que l’on connaît de lui, je reconstitue une affaire qui demeure
ténébreuse pour tout le monde. Je vous prie de remarquer,
monseigneur, que, seul de toute la presse, j’indique que le coup de
la rue Royale n’a pu être exécuté que par Charlot. Si la police le
pince, vous verrez que j’avais raison. C’est la rentrée en scène de
Charlot. Depuis plus d’un an, on n’entendait plus parler de lui.
Sans doute, il opérait à l’étranger, à Londres, Vienne ou
Pétersbourg. Le revoici dans nos murs ! Vous allez voir les
coups d’audace se succéder dans Paris ! Je mettrais ma tête à
couper que c’est Charlot ! Le vol de la rue Royale, c’est le
retour de Charlot, la bienvenue de Charlot, la résurrection de
Charlot !…
– Mais enfin, qu’est-ce qu’il a
fait ? demanda l’un des auditeurs.
– Racontez, Machin, racontez, fit le
prince.
– Messieurs, vous savez tous que Rieffer,
le grand joaillier de la rue Royale, a été dévalisé la nuit
dernière. Eh bien ! voici comment le coup a été fait. Vous
voyez la maison, n’est-ce pas ? L’entrée avec son entresol
vitré. À droite de l’entrée, le magasin de Rieffer. À gauche,
Bichot, le fleuriste. Bon. Maintenant, si vous pénétrez dans
l’entrée, vous trouvez, tout de suite à droite, la loge du
concierge. Donc, cette loge s’adosse immédiatement à la boutique du
joaillier. Encore un détail : le premier étage de la maison
est occupé par Émile, le grand perruquier de l’Opéra. La nuit
dernière, à onze heures, les employés de Rieffer, sous sa
surveillance, descendent la devanture en tôle qui supporterait
l’assaut du canon. Ils s’en vont. Resté seul, Rieffer cadenasse
l’intérieur par un système qu’il est seul à connaître. Puis il sort
par une porte de derrière donnant sur la cour de la maison, porte
blindée en fer, et se fermant au secret comme un coffre-fort. Et
pour entrer dans son magasin, il faudrait d’abord démolir les six
étages de la maison. Bon. La maison s’endort. Le concierge éteint
l’électricité, barricade la grande porte et se couche. À minuit,
c’est-à-dire, notez bien, à une heure où la rue Royale est encore
sillonnée de passants, d’agents et d’innombrables voitures, à une
heure où il faut être fou pour supposer qu’un magasin comme celui
de Rieffer va être attaqué, à minuit, donc, le concierge entend un
violent coup de sonnette… Le concierge a constaté que tous ses
locataires sont rentrés. Au coup de sonnette, il fait le mort.
Deuxième et troisième coups de sonnette, de plus en plus forts. Le
concierge se lève, vient à la porte, colle son nez à la grille du
judas et voit un monsieur archi correct. Le concierge commence à
craindre d’avoir fait un impair en laissant poser ce
monsieur ; mais il n’ouvre pas et demande à travers le
judas : « Que désirez-vous ?… » Et le monsieur
répond d’autorité : « Je suis le secrétaire du régisseur
de la scène de l’Opéra. Il faut que je parle immédiatement à Émile
pour la représentation de demain soir ; Veuillez le
réveiller… » Notez que le monsieur ne demande pas à entrer
dans la maison. Il demande simplement qu’on réveille le perruquier.
Notez que cent fois on est venu déranger Émile à des heures
tardives. Tout naturellement, le concierge ouvre, et dit :
« C’est au premier, la porte à… – Bon ! bon ! je
sais ! », interrompt le monsieur. Le concierge rentre
dans sa loge et, à l’instant même où il y met le pied, il se sent
pris à la gorge par un nœud coulant ; en même temps, un grand
foulard est jeté sur sa tête et serré de façon qu’il n’y voie plus.
Le malheureux ne peut ni jeter un cri, ni faire un mouvement. Saisi
par deux bras d’une force herculéenne, il est jeté sur son lit.
Aussitôt, il sent qu’on lui applique sous le nez, à travers le
foulard, quelque chose qui a une odeur désagréable… Il veut crier,
la corde se resserre à son cou… Il veut se débattre, la poigne de
fer le maintient… Il veut respirer, et il aspire à pleins poumons
le chloroforme… En quelques secondes, il perd connaissance, et ne
s’est réveillé qu’au matin…
« Le monsieur correct, le secrétaire du
régisseur, c’est Charlot !
– Bah !… Vous êtes sûr ?
– Aussi sûr que je
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