Fleurs de Paris
terreur.
Cependant, il gardait son masque d’impassibilité.
– Je me suis débarrassé de l’homme !
fit tranquillement Pierre Gildas.
Gérard reçut la nouvelle comme un coup de
massue. Mais il ne broncha pas.
– Que diable me contez-vous là, monsieur
Florent ? De quel homme voulez-vous parler ?…
– Je veux parler du blessé que j’ai eu le
grand tort d’introduire dans l’hôtel.
– Ah !… votre noyé ? Eh
bien ! qu’en avez-vous fait ?…
– Je me suis souvenu combien M. le
comte avait paru contrarié de la présence de cet homme dans
l’hôtel. Alors, je me suis mis à le soigner énergiquement. Dès que
je l’ai vu assez solide, je l’ai conduit dehors, je lui ai mis deux
louis dans la main, et il est parti…
– Il est parti ! répéta
machinalement Gérard, qui luttait contre une furieuse envie de
sauter à la gorge de l’intendant.
– Je vois que monsieur le comte est
inquiet. Monsieur le comte peut se rassurer. L’homme est sorti
comme il était entré, c’est-à-dire sans que personne s’en aperçoive
dans l’hôtel. De plus, je puis garantir à monsieur le comte que cet
homme ne reviendra jamais rôder par ici…
– Vous a-t-il dit son nom ?
– Je ne le lui ai pas demandé…
– C’est bon. Vous avez bien fait,
monsieur Florent. Habile et discret, je vois que nous nous
entendrons parfaitement. Vous pouvez vous retirer…
Pierre Gildas s’inclina et disparut. Gérard
demeura atterré, à la même place, jusqu’au moment où on vint lui
annoncer que Mme la comtesse était servie. Et lorsqu’il parut
dans la salle à manger, lorsqu’il prit place devant Lise, causant
et riant, nul, parmi les domestiques, nul, pas même Pierre Gildas,
n’eût pu deviner la tempête qui se déchaînait dans son esprit.
Il annonça qu’il passerait l’après-midi
dehors. Et Lise tressaillit à cette nouvelle qui concordait avec la
résolution qu’elle avait prise. Vers deux heures, en effet, après
une causerie avec la comtesse, le comte de Pierfort quitta l’hôtel,
– à pied, selon son habitude, quand il sortait seul.
Une demi-heure après, Lise sortait à son tour,
tremblante comme une coupable. Bientôt, elle montait dans un taxi
et se faisait conduire rue Damrémont, au pavillon où elle avait eu
avec le baron d’Anguerrand cet entretien que nous avons
raconté.
Là, une grave déception l’attendait : le
pavillon était vide. Son locataire était parti, et personne ne put
renseigner Lise.
– Conduisez-moi rue de Babylone, dit-elle
au cocher.
Elle n’avait aucun espoir de trouver le baron
d’Anguerrand en son hôtel, mais elle voulait épuiser toutes les
chances.
– Et si je ne le trouve pas là,
songeait-elle, j’irai jusqu’à ce château de Prospoder où il s’est
retiré peut-être. Je demanderai à Gérard de m’y laisser aller.
Sûrement il acceptera ; qui sait si je ne parviendrai pas,
moi, à réconcilier le père et le fils ?…
À l’angle de la rue de Babylone, elle renvoya
son taxi, et, le cœur palpitant, s’avança dans cette rue qui lui
rappelait tant de souvenirs si doux et si cruels…
Devant l’hôtel d’Anguerrand, sur le trottoir,
elle s’arrêta toute frissonnante. Enfin, elle s’avança pour sonner
au grand portail de l’hôtel.
À ce moment, elle remarqua que le judas de la
porte se refermait avec un bruit sec.
– Il y a quelqu’un dans l’hôtel,
pensa-t-elle, et ce quelqu’un me regardait.
Au moment où elle allait sonner, la porte
s’entr’ouvrit, comme une invitation à entrer. Lise hésita un
instant ; puis, sans sonner, elle entra et se vit en présence
du baron Hubert d’Anguerrand, qui referma la porte.
– N’ayez pas peur, mon enfant, dit-il
d’une voix émue. Je n’irai pas jusqu’à dire que je vous attendais.
Mais j’espérais toujours que vous viendriez. Du haut de cette
fenêtre, je vous ai vue dans la rue, je vous ai reconnue tout de
suite, je suis descendu, et je vous ai ouvert… Venez…
Lise, sans un mot, suivit le baron qui la
conduisit par la main jusqu’au grand salon et la fit asseoir dans
un fauteuil. Il la considérait avec une sorte de tendresse, et
songeait :
– Elle n’est pas ma fille… les preuves
qu’elle m’en a données elle-même ne sont que trop certaines… mais
quel malheur que cette charmante créature ne soit pas ma Valentine…
C’est la fille de Jeanne Mareil… hélas !…
Et, tout haut, doucement, très doucement,
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