Fleurs de Paris
jeune femme que les regards de La
Veuve étaient tombés… et La Veuve avait éprouvé un de ces
frémissements de tout son être comme trois ou quatre fois dans sa
vie orageuse elle en avait ressenti.
Dans cette jeune femme qu’emportait
l’automobile du comte de Pierfort, elle venait de reconnaître
Lise !…
Mais La Veuve était une de ces natures
exceptionnelles qui, comme Gérard, comme Adeline, domptent les
crises les plus violentes de l’esprit. Une seconde, elle demeura
éblouie ; elle vacilla comme si un vertige s’emparait d’elle.
Mais cela ne dura qu’une seconde… Déjà elle se remettait, et
marchait au domestique qui fermait la porte cochère.
– Est-ce que ce n’est pas l’auto du comte
de Pierfort qui vient de sortir ?…
– Sans doute. Monsieur et Madame vont
faire leur tour au Bois.
– Ainsi, c’est la comtesse de Pierfort
qui est dans l’auto ?
– Sans doute. Si vous êtes une
fournisseuse de la maison, adressez-vous à l’hôtel, fit le
domestique impatienté, qui acheva de refermer la porte.
– Comtesse de Pierfort !
songeait-elle… Comment ? Le comte de Pierfort, je ne l’ai pas
vu. Mais je n’ai pas besoin de le voir, lui ! Si la comtesse
de Pierfort c’est Lise, le comte de Pierfort c’est Gérard. Est-ce
que, cette fois, je les tiendrais vraiment ?…
Parvenue place Vendôme, elle entra à
l’Impérial-Hôtel et se fit conduire à l’appartement somptueux
qu’habitait Adeline sous le nom de comtesse de Damart.
– Eh bien, demanda vivement Adeline,
avez-vous du nouveau ?
– Et vous ? fit La Veuve.
Adeline secoua la tête avec désespoir.
– Rien ! murmura-t-elle. Si quelques
jours encore se passent, nous sommes perdues. Je connais Gérard.
C’est une bataille à mort qui est engagée entre nous. Si je ne le
tue pas, il me tuera.
– Eh bien ! fit alors La Veuve, ce
que vous n’avez pas trouvé, je l’ai trouvé, moi. J’ai vu
Lise ! Elle habite avenue de Villiers. Elle s’appelle comtesse
de Pierfort, et vous vous doutez bien, n’est-ce pas, que le comte
de Pierfort, c’est Gérard. Je l’ai vue dans son auto. Madame allait
faire son tour au Bois. Je ne l’ai vue qu’un instant, mais cela m’a
suffi pour lire sur son visage et dans son attitude tout le bonheur
que nous n’avons jamais connu ni vous ni moi…
– Et lui ?
– Lui ? Je ne l’ai pas vu, ou du
moins pas reconnu. J’ai vu que Lise était assise à côté d’un jeune
homme, voilà tout. Mais je mets ma tête à couper que ce jeune homme
c’était lui. Et puis, je vais vous dire : lui ne m’intéresse
pas ; c’est elle qui m’intéresse. Car ce qui est convenu entre
nous deux reste entendu, n’est-ce pas ? Lui à vous, elle à
moi !…
*
* * * *
Pendant que s’amoncelait cet orage sur la tête
de Lise, pendant que la haine maladive de La Veuve et la furieuse
jalousie d’Adeline combinaient l’œuvre mortelle, l’auto de Gérard
roulait vers le Bois, où, en effet, tous les matins, il conduisait
la jeune fille.
Dans l’automobile qui les entraînait, Gérard
et Lise se tenaient par la main.
La matinée douce, chargée d’effluves
printaniers, était toute pareille à cette matinée radieuse où Lise
Frémont avait épousé Georges Meyranes. Les équipages se croisaient
sur la longue avenue. Les feuilles verdissaient les arbres. Il y
avait de la joie et de l’amour dans l’air…
– Encore quelques jours d’épreuve, ma
bien-aimée, encore un peu de souffrance, et nous serons unis…
– Oh ! si cela pouvait être !
murmurait Lise en pressant la main de l’adoré.
– Pourquoi cela ne serait-il pas ?
Ton admirable, ton adorable confiance en moi me rendrait capable de
tentatives plus difficiles. De quoi s’agit-il, après tout ? De
dénouer un mariage où je n’ai été mari que de nom. J’y travaille.
La femme qui, par menaces, s’était emparée de mon nom, cette
malheureuse Adeline…
– Oui, oui, bien malheureuse ! dit
Lise en frissonnant. Gérard, tu m’as juré que tu ne lui ferais pas
de mal…
– Aucun mal, sois rassurée. Mais, en
somme, que voulait-elle ? De l’argent ? Eh bien !
avec de l’argent, je viendrai à bout de rendre libre, non pas ma
personne qui lui a échappé, mais le nom que tu dois porter. Dès que
je serai réconcilié avec mon père… et bientôt, oui, bientôt cela
sera… Mais, ma bien-aimée, laisse-moi te dire pour cela, pour
arriver au but qui est notre bonheur
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