Fleurs de Paris
commun, il faut que tu
redoubles de vigilance. À table, dans ton salon, tu as parfois des
pâleurs, des tressaillements inutiles et dangereux… N’oublie pas
que tu es la comtesse de Pierfort.
Lise soupira. Déjà le rêve que Gérard avait
évoqué s’obscurcissait…
– Ne l’oublie jamais, dans aucune
circonstance, continuait ardemment Gérard. Il faut qu’aux yeux de
tous tu sois la comtesse de Pierfort… parce qu’il est nécessaire
que je sois, moi, quelque temps encore, le comte de Pierfort. Tu as
balbutié, lorsque Pontaives est venu nous voir après ma visite.
Ai-je balbutié, moi ? Sois forte comme je suis fort. Il faut
que nous allions dans le monde. Songe que tu as un rôle à jouer
comme je joue le mien…
Oui, elle avait un rôle à jouer ! Et
c’était cela qui la terrorisait. Mais déjà Gérard, habile à
soutenir, lui, tous les rôles possibles, continuait d’une voix
d’ardente douceur :
– Lorsque tout sera fini, lorsque je
serai réconcilié avec mon père, lorsque tu seras ma femme, nous
quitterons Paris, ma bien-aimée. J’ai là-bas, au fond de la
Bretagne, un vieux manoir que je ferai arranger, et où nous nous
installerons… à moins que tu ne préfères Paris…
– Moi ! fit-elle toute frémissante
du bonheur entrevu, je préfère ce que tu aimes. Si tu veux Paris,
ce sera Paris. Mais si vraiment mes préférences peuvent influencer
les tiennes, Paris me fait peur… et il me semble que, là-bas, dans
ce coin de Prospoder dont tu m’as parlé, tu seras mieux tout à moi,
comme je suis toute à toi partout…
– Eh bien ! dit-il gaiement, c’est
entendu Nous lâcherons Paris. J’y ai trop souffert. Excepté le
petit coin de la rue de Babylone où je t’ai connue, je ne sais pas
de quartier parisien qui ne me rappelle quelque triste
souvenir…
– Pauvre cher ami…
– C’est fini. Avec toi, près de toi, je
n’ai plus peur de rien. Va donc pour Prospoder. Ce qui ne nous
empêchera pas, d’ailleurs de voyager. Tiens ! je connais en
Angleterre des coins adorables que tu ne voudrais plus quitter si
tu les voyais…
– Nous les visiterons, murmurait Lise
ravie.
– Et peut-être y resterons-nous…
Gérard laissait tomber ce mot sans insister,
sûr qu’il ferait son chemin dans l’esprit de Lise. Puis, aussitôt,
il reprenait ses recommandations. Et comme l’automobile, après la
longue promenade, allait se diriger vers l’hôtel, il
acheva :
– Ainsi, chère bien-aimée, il faut que,
pour quelques jours, tu sois la vaillance même. Songe que si je
suis vraiment aux yeux de tous le comte de Pierfort, dans une
quinzaine au plus tout sera réglé. Sois donc brave… surtout en
public… au théâtre… à l’Opéra-Comique, par exemple, où je veux te
conduire ce soir…
Chapitre 60 LISE
Rentrés à l’hôtel, Gérard et Lise se
retirèrent chacun dans son appartement ; l’un et l’autre avec
des pensées qui, parties du même point, bifurquaient pour aboutir à
des résultats que nous allons voir se développer.
Lise songeait ceci :
« Maintenant que je suis libre, il faut
que je fasse cette démarche… Il faut que le père de Gérard sache…
Qui sait le bonheur qui pourra rejaillir sur Gérard du bonheur que
j’apporterai au père de Valentine !… Et puis c’est mon devoir…
Oserai-je l’exécuter ?… »
Gérard songeait ceci :
« Mon après-midi est prise par les
préparatifs de l’affaire. Que je réussisse encore ce coup comme les
autres, et, cette fois, c’est trois cent mille francs… Ce soir,
cette nuit, je devrai marcher peut-être… Voyons, il me reste une
demi-heure avant de me retrouver dans la salle à manger avec Lise…
Cette demi-heure peut suffire pour me débarrasser de… »
Il allait dire : de mon frère…
Il préféra dire : de Jean Nib.
Il se dirigea vers la porte. Mais une idée
l’arrêta encore :
– Oui, mais le délire doit l’avoir
quitté, maintenant… J’ai des précautions à prendre… Pourquoi y
aller maintenant, en plein jour ? Pourquoi risquer d’être
vu ?
À ce moment, on frappa. Et Gérard, comme pour
se débarrasser d’une obsession, se hâta de crier d’entrer.
Ce fut l’intendant qui apparut.
– Qu’avez-vous à me dire, monsieur
Florent ? dit Gérard en reprenant aussitôt tout son
sang-froid.
– J’apporte une heureuse nouvelle à
monsieur le comte, dit Pierre Gildas.
– Une heureuse nouvelle ?…
Et Gérard éprouva une vague
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