Fleurs de Paris
les mains.
– Ce sera le plus doux et le plus sacré
de mes devoirs d’assurer à Jeanne Mareil une vieillesse heureuse.
Et pour cela, je voudrais qu’elle vive près de moi. J’ai en
Bretagne une belle propriété qui peut donner asile à plusieurs
familles et abriter plusieurs bonheurs, après avoir si longtemps
contenu le désespoir et le deuil…
Lise tressaillit. Cette propriété dont parlait
le baron, c’était le château de Prospoder, où Gérard lui avait
proposé de l’emmener…
– Il faudrait, reprit le baron, que si
nous retrouvons Jeanne Mareil… – et nous la retrouverons ! –
il faudrait qu’elle consente à venir habiter là-bas… avec vous. Y
consentiriez-vous ?… et consentiriez-vous à décider votre
mère ?
– Oui, certes ! répondit Lise avec
la même ardeur. Je crois comme vous que Prospoder peut abriter le
bonheur de plusieurs familles…
Et elle songeait que l’une de ces familles
serait celle de Gérard, c’est-à-dire la sienne !…
Et elle était sur le point de parler de
Gérard, de supplier le baron pour une réconciliation… Mais elle vit
à ce moment les traits du baron si bouleversés, elle crut y lire de
tels soupçons et des sentiments si amers et si violents, qu’elle
s’arrêta, interdite, presque terrifiée.
– Qui vous a dit que ma propriété de
Bretagne s’appelle Prospoder ? gronda le baron
d’Anguerrand.
Lise demeura stupéfiée, prise d’une terrible
angoisse devant cette colère furieuse qu’elle devinait. Car cette
colère, elle sentait bien qu’elle s’adressait à Gérard…
Elle balbutia quelques paroles confuses.
– Ce n’est pas moi, continua le baron
avec une sorte de rudesse. Jamais je ne vous ai parlé de Prospoder.
Si vous prononcez ce nom familièrement, il faut donc que quelqu’un
vous en ait souvent parlé… quelqu’un qui connaisse
Prospoder !… Et qui cela peut-il être, sinon lui !…
Hubert eut un geste violent.
Lise tremblait…
Oh ! la réconciliation !… Oh !
le bonheur entrevu !…
Le baron fit quelques pas dans le salon, puis
il se frappa le front ; toute sa violence de tempérament se
déchaînait… Tout à coup, il vit Lise qui, le visage dans les mains,
sanglotait doucement, éperdument.
Il courut à elle.
– Pardonnez-moi, dit-il, d’une voix
altérée. Insensé ! Je ne fais que du mal autour de moi !…
Chacune de mes paroles sème du malheur… Oui, ah ! oui,
insensé ! Et je vous proposais de venir avec moi et votre mère
à Prospoder !… Fuyez-moi plutôt comme un pestiféré… Car, à
vous qui m’avez apporté un pardon sublime, je ne me sens pas la
force de répondre par un autre pardon !… Celui que vous
aimez…ce Gérard !… Eh bien, je…
– Arrêtez, monsieur le baron ! dit
Lise avec un accent de tristesse, de résignation et de dignité.
Un instant, ils demeurèrent l’un devant
l’autre, frémissants. Pour tous deux, c’était l’écroulement d’un
rêve. Elle sentait que jamais il n’y aurait de réconciliation entre
le père et le fils ; et lui, comprenait que toujours l’amour
de Lise serait vivant.
– Pauvre petite !… Pauvre
martyre !… Laisse-moi te parler comme si tu étais encore ma
fille… Tu l’aimes donc à jamais ?…
– De toute mon âme, dit Lise avec la
fermeté passionnée de tout ce qui est irrévocable.
– Rien ne pourrait te guérir de cet
amour ?…
– Rien. Pas même de savoir que Gérard
aurait encouru la réprobation du monde entier…
– Eh bien ! laisse-moi réfléchir…
peut-être…, oui, peut-être.
– Ah ! s’écria Lise dans un sursaut
de joie ineffable, vous lui pardonnez ?
– Attends ! Je ne sais encore… Je te
jure, pour toi je ferai l’impossible… Pour toi, je dompterai tout
ce qui se révolte en moi à l’idée de revoir celui qui fut mon fils…
Mais j’ai besoin de descendre en moi-même… Écoute : tout
d’abord, dis-moi, et surtout comprends-moi… Tu l’as revu, n’est-ce
pas ?… Oui, c’est sûr, puisque lui seul a pu te parler de
Prospoder…
– Je vis dans la maison où il vit,
murmura Lise avec une telle fermeté, une telle simplicité, que le
baron en eut comme la vision d’un rayonnement.
– Écoute. Jure-moi que tu ne diras rien
de ce que tu as fait, ni que tu m’as vu, ni ce que nous avons
dit.
– Soit ! Je ne dirai rien.
– Ensuite, laisse-moi quelques jours de
réflexion. Dans huit jours, j’aurai retrouvé ma
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