Fleurs de Paris
m’appelle
Edmond !… que je suis le fils du baron d’Anguerrand !…
Edmond !… Barrot… la forêt… la Loire…
À ce moment, une porte du salon s’ouvrit
doucement.
Un homme parut et s’arrêta.
Cet homme, c’était le baron Hubert
d’Anguerrand…
Jean Nib, les yeux fixés sur le portrait,
n’entendit pas que la porte venait de s’ouvrir. Il n’entendit pas
qu’on la refermait doucement d’un tour de clef… il n’entendit rien,
il ne vit rien que le portrait où souriait la jeune femme dans son
élégante et harmonieuse toilette de soirée, d’un sourire un peu
triste, comme si les fleurs qu’elle tenait à la main eussent été
des fleurs du chagrin…
Il tournait le dos à la porte. Et le baron
d’Anguerrand, immobilisé lui-même au fond de la vaste pièce, ne
voyait pas son visage.
– Est-ce possible ? murmurait Jean
Nib. Oh ! mais ça serait donc vrai !… Ce serait donc là
ma mère ! Oh ! Est-ce que ce n’est pas la folie qui me
détraque le cerveau ? Ou bien est-ce que je rêve ?… Rêve
étrange !… rêve impossible de choses qui sont mortes !…
Ce portrait ! je l’ai vu !… Cette femme… ma mère !…
je l’ai vue voilà que ça remonte du tréfonds de mon souvenir… Je la
vois… là-bas… sur la terrasse du château… elle ne portait pas cette
toilette… elle était habillée de noir, comme si elle eût été en
deuil… De qui portait-elle le deuil ?…
Jean Nib étreignit son front à deux mains.
– Je ne sais plus… je ne sais pas… je
n’ai jamais su… balbutia-t-il, éperdu. Mais je la vois… je jouais
sur la terrasse… je vois la petite qui rit aux éclats… et puis,
nous courons à elle… ma mère !… et elle nous tient tous les
deux dans ses bras ; elle nous embrasse… Là ! Il me
semble que je sens son baiser… c’était toujours là, sur mon front,
près des cheveux… et elle pleure… Pourquoi ma mère
pleure-t-elle ?…
Jean Nib baissa la tête.
– Je ne sais plus, je ne sais pas, je
n’ai jamais su… mais je vois… oh ! je vois Barrot qui nous
entraîne… voici la petite porte du parc… et voici la forêt…
j’entends les cris de Valentine !… et cet homme qui est resté
à la petite porte ! cet homme qui nous regarde partir… je le
vois ! je le reconnais ! c’est mon père !…
Dans cette seconde, une main se posa sur
l’épaule de Jean Nib…
Jean Nib eut un bond terrible avec un cri
rauque, et se retrouva face à face avec le baron, les yeux hagards,
les cheveux hérissés. Une seconde, il considéra le baron avec une
expression d’indicible étonnement ; il le considéra comme s’il
ne l’avait jamais vu, et, brusquement, il baissa la tête…
Et alors le baron, éperdu d’émotion, vit que
l’assassin sanglotait doucement…
– Qui êtes-vous ? demanda Hubert
d’une voix étranglée…
– Je… oh ! non… pas
maintenant ! balbutia Jean Nib. Tenez, je vous en supplie… ne
me demandez rien… Tout à l’heure… je vous jure… je dirai… Ne vous
en allez pas… restez près de moi… ou emmenez-moi avec vous…
Dans ces yeux, Hubert vit un tel
bouleversement, une si profonde émotion, un si prodigieux
étonnement que lui-même, oubliant l’étrangeté de la situation, prit
une main de Jean Nib dans les siennes.
Jean Nib frissonna.
Il ne cessait de pleurer, et son regard allait
du baron au portrait de la baronne…
– Venez, dit doucement Hubert, venez,
vous parlerez quand vous voudrez… Quoi que vous ayez à me dire,
soyez tout au moins assuré que je n’ai pas de haine contre vous…
aucun mauvais sentiment… quoi que vous soyez venu faire ici…
– Ce que je suis venu faire ?…
bégaya Jean Nib. Eh bien !… oh ! comment dire !…
je…
À ce moment, du rez-de-chaussée de l’hôtel,
des bruits parvinrent distinctement jusqu’au baron. Il tressaillit
violemment, plongea ses regards dans les yeux de Jean Nib et
dit :
– Entendez-vous ?… On vient… on
monte !…
– On monte, fit Jean Nib éperdu. Qui
ça ?…
– Qui ?… Vos camarades ! vos
tristes camarades !… Si le repentir vous a arrêté à temps,
vous, les autres ne…
– Mes camarades ? gronda Jean Nib à
son tour. Mais je suis venu seul !…
– Allons donc !… J’ai vu l’hôtel
cerné… J’ai vu six hommes…
– La rousse ! rugit Jean Nib qui, en
un instant, retrouva tout son sang-froid et redevint Jean Nib. La
rousse ! en un tel moment !…
Dans
Weitere Kostenlose Bücher