Fleurs de Paris
pense qu’il est toujours dans l’hôtel. Je pense que je
vais m’installer ici et que je n’en bouge pas de toute la
nuit ! Voilà ce que je pense, monsieur le
commissaire !
M. Lambourne haussa les épaules, et se
retira en se disant que la réputation de fin limier de l’agent
Finot était très surfaite. À la seule idée qu’il pût y avoir une
accointance quelconque entre un escarpe comme Jean Nib et une aussi
honorable, aussi respectueuse personnalité que le baron
d’Anguerrand, il éclata de rire. Il partit donc, emmenant ses
hommes, tandis que Finot songeait dans l’amertume de son
âme :
– Quels idiots ! Je veux amener
Charlot au chef de la Sûreté, et il me rit au nez. Je veux arrêter
Jean Nib, et c’est le commissaire qui me rit au nez !… Les
deux plus terribles bandits de Paris !… Quelle revanche de les
pincer tous les deux, et de rire un peu à mon tour !…
Finot fit comme il avait dit : il passa
la nuit en faction devant l’hôtel d’Anguerrand, et ne regagna son
logis qu’au grand jour… Il n’avait vu sortir personne.
– Eh bien ! se dit-il, c’est que
Jean Nib est resté. Il n’y a pas d’issue par où il eût pu filer.
S’il est resté, c’est qu’il est bien de la maison. S’il est bien de
la maison, je l’y retrouverai, soit qu’il s’y installe, soit qu’il
y revienne. Dans tous les cas, je fais surveiller l’hôtel. J’y
perdrai la tête, ou j’arrêterai Jean Nib. Et tout me dit que je
l’arrêterai dans l’hôtel d’Anguerrand – peut-être en même temps que
Charlot ! Coup double !…
Tandis que le commissaire emmenait sa troupe,
tandis que Finot prenait ses dispositions pour passer le reste de
la nuit en surveillance devant l’hôtel, le baron d’Anguerrand était
demeuré seul dans le salon. Lorsqu’il n’entendit plus de bruit, il
descendit, s’assura que les portes étaient solidement
fermées ; puis, étant remonté, il éteignit les lumières.
Longtemps encore, il écouta.
Ensuite, une lanterne à la main, il visita
l’hôtel du haut en bas, avec la crainte vague que l’un des agents
ne fût tapi dans quelque coin.
Certain d’être seul, il se dirigea vers le
couloir retiré au fond duquel se dissimulait une porte derrière des
tentures ; c’était là qu’il avait enfermé Adeline, et c’était
là qu’Adeline elle-même avait séquestré Lise.
Le baron ouvrit la porte, et dit
doucement :
– Vous pouvez venir, maintenant ;
ils sont partis.
– Un mot seulement, dit Jean Nib en
s’avançant. Avez-vous pu savoir quel est le nom de l’homme qui
conduisait les agents ?…
– Sans doute : c’est
M. Lambourne, le commissaire du quartier.
– J’aurais parié ma tête que c’était
Finot, gronda Jean Nib en lui-même. C’est pourtant bien sa voix que
j’ai reconnue. Ce roussin-là veut ma peau… Peut-être que c’est moi
qu’aurai la sienne…
– Venez, reprit le baron. Vous alliez me
parler, me dire quelque chose lorsque ces hommes sont arrivés…
– Oui, j’ai quelque chose à vous dire,
fit Jean Nib avec un accent étrange d’où toute émotion avait
disparu… Allons.
Chose singulière, ce fut Jean Nib qui marcha
le premier. C’est lui qui semblait conduire le baron d’Anguerrand.
C’était l’escarpe qui précédait le maître du logis et, pour ainsi
dire, lui faisait les honneurs de la maison. Hubert éprouvait cet
étonnement qui précède les grandes secousses de l’esprit. Il
suivait Jean Nib sans pouvoir détacher les yeux de sa haute
stature, et la décision, l’attitude de l’homme redoublaient son
étonnement.
Jean Nib parvint jusqu’au grand salon dont
Finot avait fait défoncer la porte. Le baron vit que l’escarpe
avait pris place dans un fauteuil, non loin du portrait de la
baronne. Hubert ne fit aucune observation et s’assit lui-même en
face de Jean Nib. L’idée ne lui vint pas que peut-être il avait
affaire à un fou. Une curiosité suraiguë s’était emparée de
lui.
– Je vous écoute, dit-il.
– Monsieur, dit Jean Nib, après quelques
minutes de silence où il parut se recueillir, je vais vous dire qui
je suis et ce que je suis ; après cela, je vous dirai ce que
je venais faire ici ce soir… Avez-vous gardé un souvenir bien exact
de notre première entrevue ? Me reconnaissez-vous
bien ?
– Parfaitement. Un soir que je m’étais
endormi dans le cabinet d’où nous sortons, un bruit, un souffle
plutôt m’a réveillé tout
Weitere Kostenlose Bücher