Fleurs de Paris
demi
suffoqué, se hissa par un rétablissement, s’assit sur le sommet de
la cheminée en murmurant :
– Ça serait le cas ou jamais de
m’déguiser en génie d’la Bastille. Tiens, au fait ! L’génie
d’la Bastille, ça doit z’être la statue à Latude. Ohé,
Merluchon !
– De quoi ? fit d’en bas la voix
geignante de Julot.
– Tu grimpes-t-y, oui z’ou non !
J’ai pas envie d’moisir ici, moi. D’abord on est trop près d’la
lune, et ça vous tape sur le ciboulot, à preuve qu’on les appelle
les lunatiques, les ceusses qu’en ont une pochetée…
– Mais j’peux pas ! gémit la voix.
Ça m’racle, ça m’écorche, ça m’dépiaute…
– Ça t’fera du bien. T’es trop gras, t’as
bouffé trop de frites. Et puis, si t’y laissais toute ta peau, ça
t’changerait, tu serais tout déguisé pour le Mardi-Gras… D’abord
moi, j’te l’dis carrément, j’en ai z’assez de t’voir toujours avec
la même binette…
– J’étouffe, nom d’un baderne, j’peux
plus passer !…
– Imbécile ! j’suis bien passé,
moi !
– T’es deux fois plus petit qu’moi,
pardine !
– Qu’ça peut fiche gourde ! On
écarte un peu plus les moellons, voilà…
– J’peux pas, larmoya Julot. Y veulent
pas s’écarter, les moellons !…
– Y veulent pas ? dit Zizi avec
l’accent d’une surprise intense. Ben ! faut qu’y z’ayent un
fichu caractère !… Alors, tu peux pas monter ?
– Non ! souffla Julot. La cheminée,
elle est assez large pour toi, mais elle est trop étroite pour
moi.
– Ça, c’est rageant, par exemple.
J’aurais jamais cru ça d’la part de c’tte cheminée qu’avait
pourtant l’air bonne fille… Alors, tu peux pas monter ?… Eh
bien, descends, gourde !
– Ah ! malheur de malheur !
Alors, faut que je redescende ? Alors tu m’lâches ? tu
m’abandonnes ?… Alors, j’vas rester tout seul ?… Pendant
combien d’temps ? Peut-être toute ma vie !
– Merluchon, tu m’fends le cœur. Te
désole pas, tu seras délivré demain !
– Oui mais si Tricot vient d’ici là et
qu’y m’voye tout seul… quoi qu’y va dire ? quoi qu’y va
faire ?
– Tricot viendra pas avant midi. Et tu
seras délivré le matin, peut-être cette nuit même…
La Merluche poussa un soupir qui monta vers
Zizi comme une suprême recommandation ; puis, il se laissa
retomber jusqu’en bas, sortit de la cheminée, et comme les
sentiments ne duraient jamais bien longtemps dans sa cervelle, au
bout de dix minutes, il se dit :
– Bah ! j’vas toujours faire des
frites et puis j’ferai une partie de bataille à moi tout seul.
Pendant ce temps, Zizi, s’étant mis à plat
ventre, s’était doucement glissé jusqu’au bord du toit ; de
là, il put aisément, en se suspendant à la gouttière, se laisser
tomber sur la toiture du poulailler, d’où il sauta à terre sans
autre mal que quelques écorchures.
Vivement, il franchît les deux cours et
parvint à la porte de la petite cuisine ; puis il se dirigea
vers le grand portail. Comme il l’examinait avant de tenter
l’escalade, il entendit la cuisine s’ouvrir.
Zizi, d’un bond, gagna un tas de fourrage qui
se trouvait à deux mètres de lui vers les écuries, et n’eut que le
temps de s’y blottir ; un homme et une femme sortaient à ce
moment de la cuisine qui venait de s’éclairer. À la lueur de la
lampe laissée sur la table, Zizi reconnut Tricot et la Veuve.
Ils marchèrent en silence jusqu’à la porte
cochère que Tricot se mit en devoir d’ouvrir.
– Tu m’as bien compris ? dit à ce
moment La Veuve.
– Vous m’avez donné vingt mille francs
pour que je comprenne, fit Tricot de sa voix papelarde. Vous pouvez
être bien tranquille. À une heure, l’auto où Biribi doit mettre la
petite Lise sera prête. À deux heures, la vôtre vous attendra tout
attelée…
– C’est bien ça. Quant à la bouquetière
et à Rose-de-Corail, tu n’as pas à t’en inquiéter. Biribi t’en
débarrassera demain matin…
– Et je n’aurai à me défaire que des deux
gamins ?
– Oui, dit La Veuve. Là-dessus, je n’ai
pas de conseils à te donner, mon bon Tricot. Mais souviens-toi
qu’il n’y a que les morts qui savent se taire.
Tricot répondit par un petit rire qui fit
dresser les cheveux sur la tête de Zizi.
– Ben ! songea-t-il, j’en réchappe
d’une verte !… Quelle veine que Merluchard ait pas pu allumer
la
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