Fleurs de Paris
grand flandrin de seize à dix-sept
ans, d’une longueur et d’une maigreur extraordinaires, ce qui lui
avait valu le surnom harmonieux de La Merluche. Vu de dos, il avait
la taille d’un garçon de vingt ans ; vu de face, il n’en
paraissait plus que quatorze à peine, son visage chlorotique aux
yeux cerclés de rouge étant resté enfantin.
L’autre pouvait aller sur ses quinze ans. Il
était petit, malingre, futé, rusé. Il s’appelait Zizi-Panpan, avait
le nez et le menton pointus, et exerçait la profession de chef de
bande avec un talent que nos lecteurs auront l’occasion
d’apprécier.
La Merluche et Zizi-Panpan cheminaient donc
côte à côte en devisant de choses et d’autres, lorsque le dernier
s’arrêta tout à coup prés de l’étalage d’un épicier, en
reniflant.
– Quoi qu’il y a ? fit La Merluche
avec inquiétude.
– Il y a, dit Zizi-Panpan, que j’ai raté
ma vocation… J’aurais dû me mettre pêcheur de sardines à l’huile.
J’ai un faible, pour la sardine, j’te l’ai t’y dit, oui z’ou
non ?
– Ça, c’est vrai que tu me l’as dit,
avoua franchement La Merluche.
– Oh ! s’écria Zizi-Panpan, comme ça
se trouve ! Pige-moi l’étalure de l’épicemar ! Rien que
des sardines. Chauffe-m’en une boîte, Merluchot… On va se les caler
en chœur…
La Merluche jeta un rapide regard aux
environs, s’approcha de l’étalage au moment où le garçon épicier
tournait le dos, et frôla avec une rapidité et une adresse de singe
une pile de boîtes de sardines : c’était sa spécialité…, il
faisait
les étalages.
Pendant ce temps, Zizi-Panpan continuait
tranquillement sa route. Lorsqu’il fut rejoint par La Merluche, il
laissa simplement tomber ce mot qui valait à lui seul un
poème :
– Aboule !…
Et la Merluche aboula docilement :
c’est-à-dire qu’il passa à son compagnon la boîte qu’il venait de
voler avec une si merveilleuse dextérité. Alors, Zizi
ajouta :
– Maintenant, mon vieux Merluchard, à la
revoyure ! Faut que j’radine la cambuse…
– Et ma part ? protesta La
Merluche.
– Et ta sœur ! fit Zizi-Panpan avec
un geste plein de dignité. Tu ne sais donc pas que la mienne de
sœur, s’est pagnotée hier sans briffer ? Oui, mon vieux, pas
même du bricheton ! Pauvre Magali !… J’ai pas envie
qu’elle recommence, ce soir !
– Je veux ma part ! insista La
Merluche sans la moindre délicatesse.
– De quoi, ta part ! Va la réclamer
à l’épicemar, ta part ! Il t’a volé ! Je t’avais dit d’y
chauffer deux boîtes, une pour toi, une pour moi… c’est-à-dire pour
Magali… J’te l’ai t’y dit, oui z’ou non ?…
– Ça, c’est vrai que tu me l’as
dit ! avoua La Merluche en grattant sa tignasse rouge.
– Alors, bonsoir ! dit Zizi-Panpan,
qui, aussitôt, s’élança, et laissa son camarade planté au coin du
trottoir, perplexe, rêveur et murmurant :
– Je crois que Zizi s’a payé ma poire… Si
j’en étais sûr, bon sang !…
Cependant, Zizi-Panpan avait gagné la maison
d’où Ségalens venait de sortir, et était entré dans un triste
logement du troisième. Une jeune fille à figure douloureuse, jolie
quand même malgré sa tristesse et sa pâleur, y cousait à la machine
des ourlets de mouchoirs.
– Bonsoir, la frangine, dit Zizi en
entrant. Toujours triste !… Tu penses donc toujours à ton
marquis ?… Une vraie perle, oui, tu parles !… Qu’est-ce
qu’il y a à bouffer, ce soir ? ajouta-t-il tout à coup en
furetant dans un pauvre buffet.
Celle qui s’appelait Magali arrêta le
mouvement de la pédale et poussa un soupir en jetant un regard de
désespoir sur son jeune frère.
– Rien, n’est-ce pas ? reprit
celui-ci. Alors c’est tous les jours la Saint-Brosse-toi-leVentre,
depuis que le père est à l’ombre.
– Je n’ai plus que ces trois douzaines à
ourler, console-toi, mon petit Zizi… dès que je l’aurai fini, je
porterai l’ouvrage ; en attendant, j’ai pu acheter du
pain.
– Pauvre Magali !… Toujours douce et
gentille !… Tiens, ce soir, nous faisons la noce – il exhiba
la boîte volée par La Merluche – j’ai une boîte de sardines… c’est
la mère Chique, tu sais… la femme au flic de la rue Ramey… la maman
du petit Merluchon… eh bien ! c’est elle qui me l’a donnée, à
preuve que l’huile de sardines te fera du bien à la poitrine,
qu’elle a dit ! Alors,
on fait la
Weitere Kostenlose Bücher