Fleurs de Paris
noce
,
hein ?
Magali laissa tomber un profond regard sur son
frère, puis détourna les yeux, soupira, demeura un moment rêveuse,
puis, avec un éclat de rire nerveux :
– La noce !… Eh bien, soit !
S’il faut
faire la noce
, je la ferai !…
*
* * * *
Revenons maintenant à Biribi, au faux cocher
qui, après son algarade avec Ségalens, avait suivi le jeune homme
d’un regard sanglant. Il le vit monter dans un auto-taxi qui
passait, et alors se tournant vers La Veuve qui était demeurée à la
même place :
– Je t’ai obéi, La Veuve ! dit-il en
grinçant des dents. Mais je donnerais cinq ans de ma vie pour me
retrouver nez à nez avec ce mec-là… tu entends ?
– Et si je te le fais retrouver ?
demanda La Veuve avec une tranquillité sinistre.
– J’aurai sa peau !
– Eh bien, sois tranquille, tu le
retrouveras !… Mais entre un moment dans le sapin. Nous avons
à causer ; puis tu me conduiras rue de Babylone.
En parlant ainsi, La Veuve pénétra dans la
voiture de Biribi. Celui-ci prit place près d’elle, et, refermant
la portière :
– Qu’as-tu à me dire ? grogna-t-il
avec défiance.
– L’hôtel où tu vas me conduire, fit La
Veuve, était habité il y a quelques jours encore par un homme et
une jeune fille que Jean Nib a enlevés avec ta complicité…
– C’est vrai ! gronda Biribi. Et
après ?
– La jeune fille, je sais où elle est.
Mais l’homme… je ne sais pas. Et je veux savoir ! Jean Nib
refuse de parler… À toi la pose !
– Si c’est à moi la pose, dit lentement
le colosse, j’abats mon jeu, atout et atout… Tu peux me tuer, La
Veuve, tu ne sauras rien !… Jamais !
La Veuve, un instant, demeura pensive, le
front plissé ; puis, posant sa main sèche sur le bras de
Biribi :
– Je ne tuerai pas, et tu parleras. Dans
dix minutes, tu me diras où se trouve Hubert d’Anguerrand.
Seulement, ajouta-t-elle avec un funèbre sourire, tu n’auras pas eu
le mérite de la bonne volonté… Maintenant, écoute bien ceci je
viens de voir la petite bouquetière ; elle est amoureuse, et
je sais qui elle aime…
Biribi tressaillit, pâlit et grinça des dents.
Ses formidables poings se crispèrent, son regard jeta dans l’ombre
des lueurs rouges, et il gronda :
– Malheur à elle !… et à celui
qu’elle aime !…
Chapitre 15 SÉGALENS
Qu’était-ce qu’Anatole Ségalens ? Tel il
s’était présenté à Marie Charmant, tel il était dans la réalité. Le
récit qu’il avait fait était vrai.
Un seul détail avait été, non pas faussé, mais
légèrement arrangé par lui : c’était l’histoire du gardénia.
Le gardénia, c’était un prétexte. Depuis deux mois qu’il cherchait
un moyen de se rapprocher de sa voisine, c’est tout ce qu’il avait
trouvé.
De ses parents, il ne se rappelait rien. Il
avait, en effet, un an à peine lorsque son père – ce préfet qui eut
l’originalité de démontrer l’inutilité des préfectures – mourut, ne
laissant derrière lui pour tout héritage qu’un manuscrit et
quelques dettes à payer. Mme Ségalens, née Chemineau, adorait
son mari au point qu’elle en mourut de douleur moins de dix mois
après lui. À son lit de mort, elle confia son enfant, le petit
Anatole, à son frère Jérôme Chemineau.
Chemineau était célibataire ; il vivait
d’une petite rente qui l’affranchissait de toute besogne
fixe ; à cause de son célibat obstiné, les demoiselles à
marier le jugeaient libertin et lui supposaient des vices ; à
causé de son indépendance, les honnêtes gens de Tarbes le tenaient
en suspicion. Chemineau vivait dans la retraite, n’allait ni au
cercle ni au jeu de boules ; il n’avait que de très rares
amis.
Il fumait des pipes, cultivait son jardin et
passait le reste de son temps à résoudre des questions d’où devait
naître, à ce qu’il assurait, un moyen de locomotion nouveau :
nous avons oublié de dire que Chemineau était sorti de
Polytechnique, troisième de sa promotion, et qu’il était membre
correspondant de divers instituts de Paris, Londres, Leipzig et
Vienne.
Chemineau, célibataire, solitaire,
mathématicien, reçut avec une grimace le dépôt que lui confiait sa
sœur mourante – sorte d
’x
menaçant qui se dressait dans sa
vie harmonieuse comme un problème d’algèbre. Mais, peu à peu, il
arriva ceci : qu’il se mit à aimer ce petit être qui lui
souriait avec tant de grâce et dont les grands yeux un peu
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