Fleurs de Paris
visage un air de loyauté qui
est comme une lumière…
Elle s’assit, caressant distraitement le chat
Titype, les yeux perdus dans le vague.
Il est aussi pauvre que moi, ajouta-t-elle
plus bas.
Soudain, elle pâlit.
– Pauvre ?… Et qui me le
prouve ?… qui me dit que ce n’est pas une frime pour
m’enjôler, et que son histoire de me demander l’aumône d’une fleur
n’est pas une comédie ?…
À ce moment, de l’étage inférieur, en même
temps que le ronron d’une machine à coudre, monta une voix jeune,
fraîche et pure qui chantait :
Ô Magali, ma bien-aimée,
Fuyons tous deux sous la feuillée.
Au fond des bois silencieux
Et des bosquets mystérieux…
Et la voix qui disait ce couplet était d’une
infinie tristesse ; c’était un chant de désolation pareil à un
ressouvenir d’amour défunt…
– Pauvre Magali ! murmura Marie en
tressaillant. En voilà une qui a cru à l’amour, qui s’est donnée
toute et de si grand cœur, et qui a coupé dans le pont… dans les
grands prix ! La voilà lâchée, si malheureuse, si triste qu’à
peine j’ose la regarder… Qui sait ce qu’elle va devenir,
celle-là ?
*
* * * *
Quand le soir fut venu, Marie Charmant, sa
lumière éteinte, debout contre sa porte close, écouta avec un grand
battement de cœur son voisin qu’elle entendait aller et venir dans
le logis d’à côté, elle se disait :
– Il va partir… il va aller à cette
grande fête qui se donne, rue de Babylone, chez ce baron de…
À ce moment, la porte du voisin s’ouvrit. La
jolie bouquetière s’immobilisa jusqu’à retenir sa respiration. Elle
entendit le jeune homme qui sortait. Elle comprit qu’il s’arrêtait
une seconde sur le palier… puis il descendit…
Alors, à son tour, elle ouvrit doucement, se
pencha sur la rampe et, à la lueur du gaz qui pétillait au-dessous
d’elle, entrevit Anatole Ségalens qui s’enfonçait lentement au fond
de l’escalier. Il avait disparu depuis quelques minutes, et elle
était encore là, penchée. Enfin, elle se redressa, avec un long
soupir la petite bouquetière s’apprêtait à rentrer dans son logis,
lorsqu’un gémissement parvint jusqu’à elle. C’était comme un
sanglot lointain…
– Oh ! songea Marie Charmant, ces
plaintes que j’entends encore !… Oui, cela vient bien de
là-haut… du galetas qui appartient à La Veuve !…
Haletante, elle se mit à monter le petit
raidillon d’escalier qui conduisait aux combles, et aboutit enfin
devant une porte fermée. Elle écouta. Cette fois, le gémissement
lui arriva très distinct.
– Qui pleure derrière cette porte ?
murmura la bouquetière. Et pourquoi pleure-t-on ? Il y a là
quelque horrible secret… Oh ! mais La Veuve est dehors… et
quand elle sort, elle rentre bien tard ! Cette fois, oui,
cette fois, il faut que je sache !…
À l’instant même, la plainte se tut, et un
silence de mort régna dans le grenier.
Marie Charmant se pencha vers la serrure, et,
le sein palpitant d’une terreur qu’elle avait peine à maîtriser,
appela à voix basse :
– Qui que vous soyez, dit-elle, n’ayez
pas peur, je suis une amie…
Une amie ! répondit une voix faible et
douloureuse.
– Oui ! une amie, puisque vous avez
du chagrin ! Vous pleurez, je vous consolerai. Vous souffrez,
je vous soulagerai… Venez… Parlez-moi… N’ayez aucune crainte.
Espérez !
– Oh ! dit la voix mystérieuse en se
rapprochant. Qui êtes-vous, vous qui venez parler d’espoir et de
consolation à celle qui n’espère plus rien et que rien ne peut
consoler ?
– Je vous entends depuis vingt jours… la
nuit, je compte vos pas… et j’ai bien souvent frissonné de pitié
lorsqu’un de vos sanglots descendait jusqu’à moi… J’habite
au-dessous de vous… Je m’appelle Marie Charmant. Et
vous ?…
Derrière la porte, la voix douloureuse
répondit avec un soupir :
– Moi, je m’appelle Lise… ou plutôt,
hélas !… Valentine d’Anguerrand !…
Chapitre 14 FIGURES QUI SE PROFILENT
La veuve, qui venait de sortir de chez elle,
ne tarda pas à remarquer, à dix pas devant elle, un jeune homme
très élégamment vêtu qui marchait en évitant avec un soin minutieux
les flaques de boue.
– Le beau mystérieux !
ricana-t-elle. L’amoureux de la petite bouquetière ! Il fait
signe à Biribi ? Un instant : Biribi est à moi !
En effet, Anatole Ségalens s’arrêtait près
d’un fiacre qui stationnait en
Weitere Kostenlose Bücher