Fleurs de Paris
la
connaître
avant de la
tuer…
Et c’est pourquoi Adeline renfonça son
revolver, c’est pourquoi elle prononça ceci :
– Je suis venue pour vous sauver !…
Vous ne me croiriez pas, mademoiselle, si je vous disais que
j’éprouve pour vous la moindre pitié. Vous devez savoir, au
contraire, vous savez, vous voyez que je vous hais de toute mon
âme…
Lise, d’un geste instinctif, couvrit son
visage de ses deux mains… Oui, elle voyait cette haine avouée,
proclamée. Et elle, qui avait les mêmes motifs de haine puisqu’elle
aimait Gérard, elle se disait : « Que lui ai-je
fait ?… »
– Voici ce que je suis venue vous offrir,
reprit Adeline d’une voix brûlante : nous aimons toutes les
deux le même homme.
Cette homme est notre mari à toutes
deux
… (Lise fut secouée d’un tressaillement.) Notre
mari !
… Il est vrai qu’il ne vous a épousée, vous,
que sous un faux nom et qu’il m’a épousée, moi, sous son nom
véritable. Mais qu’importe, au fond, le nom écrit sur un registre
de mairie ? Si je suis baronne d’Anguerrand, vous êtes, vous,
madame
Georges Meyranes
… et Gérard d’Anguerrand, Georges
Meyranes, c’est le même homme !… Une de nous deux est donc de
trop. Est-ce votre avis ?…
Lise leva sur la femme qui lui tenait ce
fantastique discours un regard de terreur et d’horreur.
– Madame, dit-elle d’une voix d’une
infinie détresse, mais qui ne tremblait pas, je vous jure que
j’aime mieux mourir que d’entendre ce que vous me dites…
– Vous ne voulez donc pas
le
revoir
? gronda Sapho.
– Le revoir ? râla Lise avec un
accent de telle ferveur que Sapho en grinça des dents.
– C’est ce que je suis venue vous
proposer, continua Sapho dans une sorte de rugissement douloureux,
et en même temps une larme brûla le bord de ses paupières.
– Comme vous l’aimez ! murmura Lise,
qui frissonna à voir pleurer ces yeux injectés de haine.
– Et vous ! gronda Sapho.
Elles se regardèrent encore, dans une sorte de
saisissement…
Sapho, la première, revint à elle, se domina,
et, d’une voix plus calme :
– Notre solution est effrayante, mais
elle est simple : une de nous deux est de trop ! Je suis
venue vous proposer ceci : ensemble nous nous présenterons et
nous lui dirons… « L’une de nous deux doit disparaître…
Laquelle ?… »
– Madame ! madame ! balbutia
Lise, ce que vous me proposez est horrible. Je vous écoute, je vous
entends, et je n’ose en croire ce que j’entends !… Non,
madame, non. Ne croyez pas que je sois capable d’une démarche
pareille contre laquelle toute ma pensée, tout mon cœur, tout mon
être se révoltent… Mourir pour mourir, j’aimerais mieux encore vous
céder la place et tomber
sous le revolver que vous avez apporté
pour moi,
plutôt que de mourir de honte !…
Sapho demeura quelques instants méditative.
Elle voulait emmener Lise. Elle le voulait de toute l’ardeur
intense de sa curiosité maladive.
Tout à coup, Adeline sourit, d’un fugitif et
livide sourire…
– Soit ! dit-elle, je serai seule à
le soigner, et s’il ne meurt pas, quand il sera guéri, nous
pourrons sans doute reprendre cet entretien ; d’ici là, vous
demeurerez ici ; il paraît que vous y êtes bien, puisque vous
vous détournez de la seule voie de salut qui vous était offerte.
Adieu.
Lise fit deux pas rapides vers Sapho. Son
imagination, surexcité par l’amour qui la dominait si complètement,
lui montra son Georges malade, mourant peut-être. Et par une
transposition instantanée des situations, elle le vit tel qu’il
était en leur petit appartement de la rue de Babylone lorsque,
selon l’expression de Georges Meyranes, elle et maman Madeleine
l’avaient ramené de la mort. Elle rêvait la charmante idylle, la
genèse de cet amour qui l’avait prise tout entière, âme, cœur et
esprit, au point que sa personnalité s’effaçait et qu’elle vivait
en celui qu’elle adorait. Oh ! être près de lui encore, et,
comme jadis, veiller sur sa fièvre, guetter son délire, humecter
son front brûlant… le sauver enfin ! Ce fut si violent, si
indépendant de sa volonté que, sans même se rappeler que cette
femme la haïssait mortellement :
– Sauvons-le ! murmura-t-elle avec
une ardeur qui la faisait trembler. Oh ! madame, à nous deux,
nous le sauverons, n’est-ce pas ?…
– Venez donc ! dit Sapho en
comprimant son cœur qui bondissait de haine.
*
*
Weitere Kostenlose Bücher