Fleurs de Paris
entier, éliminait violemment toute autre pensée.
Dans un mouvement de rage, Jean Nib essaya de se redresser. Sa tête
heurta le plafond.
Et alors, dans une brusque saute des
sensation, il crut de nouveau qu’il allait étouffer… Il se mit à
haleter, ses nerfs se tendirent, ses muscles craquèrent… Tout à
coup, sans savoir pourquoi ni comment, il se trouva les deux pieds
sur la banquette, les épaules arc-boutées sur la paroi
supérieure…
– J’étouffe ! râla-t-il. Je vais
crever là ! Je ne verrai plus Rose-de-Corail !…
Il n’étouffait pas. Sans s’en rendre compte,
il exerçait une formidable poussée sur la paroi !… Les veines
de son front s’enflaient, ses muscles saillants se tordaient dans
l’effort surhumain qu’il tentait… la paroi craqua !… À ce
craquement qu’il entendit tout à coup, à ce faible bruit qui
retentit en lui comme un coup de tonnerre, Jean Nib eut un tressaut
suprême de sa pensée…
Dans la même position de monstrueuse
cariatide, lentement, il leva la tête et vit… Il vit !…
Oh ! il vit dans un rêve de délire que la paroi s’était
fendue !…
La voiture cellulaire continuait à rouler et à
tanguer dans son bruit de ferraille. Jean Nib eut un soupir qui
ressemblait à un effroyable juron. Il se ramassa. Tout ce qu’il y
avait de force dans sa volonté, de puissance dans ses muscles fut
aspiré aux épaules… Et les épaules de la cariatide se mirent à
exercer une pression lente, sans arrêt, une pression implacable de
machine… La paroi se disjoignait, se disloquait… s’ouvrait !…
Jean Nib, haletant, les lèvres sanglantes, le souffle rauque et
précipité, les yeux convulsés, Jean Nib, appuyé des genoux et des
coudes, poussait de ses épaules, d’une poussée irrésistible…
Brusquement, la paroi éclata !…
Comment Jean Nib, déchiré, couvert
d’ecchymoses, pantelant, effrayant à voir en cet instant, se
trouva-t-il sur le toit de la voiture ? Comment put-il passer
à travers la déchirure ? Jamais il ne le sut… Il était en
lambeaux, il était couvert d’éraflures sanguinolentes, il était
étendu sur le toit, se cramponnant des mains, la face tournée vers
le ciel, la poitrine soulevée par les halètements furieux de sa
respiration, le front inondé de sueur et de sang, et, dans les
yeux, une telle expression de joie, d’étonnement, de défi suprême,
que nul n’eût osé l’approcher…
*
* * * *
Jean Nib traversa Paris suivant un itinéraire
spécial. Ces grands fauves de la forêt parisienne ont de ces
marches obliques. Ils vont de fourré en fourré. Ils évitent le
frôlement des autres hommes, et, procédant par bonds successifs,
s’avançant dans les taillis qui sont leur domaine…
Jean Nib gagna les abords de la Bastille, puis
la Roquette, puis le Père-Lachaise, puis la Villette ;
c’est-à-dire qu’il tourna autour de Paris, par les quartiers qui,
la nuit, il était assuré, à un signal, à un coup de sifflet, de se
faire reconnaître de ces ombres inconnues qui se glissent, et, au
besoin, de trouver un refuge. Il marchait, d’ailleurs, sans prendre
d’autre précaution. Il respirait par vastes et larges
aspirations ; il ne songeait pas à essuyer le sang qui lui
coulait un peu partout, aux mains, aux bras, au visage…
Parfois, il riait, et il était alors
d’apparence formidable.
À la Villette, il entra chez un marchand de
friperies qu’il connaissait de longue date. À crédit, et
sur
parole
, le marchand lui fournit un costume complet destiné à
remplacer ses vêtements en loques.
– Tu t’es donc battu ? lui
dit-il.
– Non, répondit simplement Jean Nib. Je
me suis écorché en sortant du panier à salade.
Le fripier demeura étonné, mais il ne fit pas
d’autre question. Seulement, comme il connaissait les besoins de
ses clients, il étala un assortiment de couteaux. Jean Nib en
choisit un et s’en alla.
Une heure plus tard, il arrivait au
Champ-Marie.
On était à peu près à l’heure où La Veuve
attendait chez elle l’arrivée de Gérard d’Anguerrand et
Adeline.
– Rose-de-Corail ! appela Jean Nib
en entrant.
Rose-de-Corail n’était pas là !… Il
sentit une sueur froide perler à son front et sortit. Dehors, il
s’arrêta, reniflant dans le vent. Il tremblait. Il n’y avait pas de
catastrophe comparable à celle qui l’atteignait.
– Voyons, gronda-t-il, en claquant des
dents, pas la peine de me tourmenter le ciboulot. Il a dû y
Weitere Kostenlose Bücher