Fleurs de Paris
je vous aimais ? Vous avez cru à l’histoire de
la pure jeune fille ?… Allons donc ! je portais aussi un
autre nom… je m’appelais Sapho ! Demandez à ceux qui m’ont
acheté mes baisers ! Le malheur a voulu que je me mette à
aimer un homme… le seul que j’aie aimé… que dis-je, insensée,
adoré ! Je l’ai adoré, et je l’adore. Dans ma vie de
débordement, dans mon existence de dévoreuse d’hommes et d’argent,
j’ai commis cette faute… j’ai aimé ! J’aime !… Et celui
que j’aimais, c’était votre fils… Il me connaissait, lui ! Et
il repoussa l’amour que je lui offrais. Alors ma passion se
déchaîna ! Alors, je combinai mes plans ! Alors, je me
rapprochai de vous, parce que je savais que Gérard viendrait à
vous ! Alors, je conçus le crime qui devait enrichir Gérard et
m’assurer son amour… ou du moins tout ce que je pouvais en prendre
à défaut de son cœur… Comprenez-vous ? Dites, monsieur le
baron !…
Le baron d’Anguerrand recula épouvanté en
murmurant :
– Quel abîme de honte et
d’horreur !…
– Oui, ricana Sapho. Un abîme
d’horreur.
Adeline respira. Un sourire diabolique passa
comme un éclair sur ses lèvres.
– Venez, dit rudement le baron. À propos,
je vous préviens que tout appel serait inutile : vous avez pu
vous en convaincre. Je vous préviens aussi qu’au premier mouvement
que vous faites pour fuir, je vous tue sans miséricorde.
Maintenant, marchez devant moi, et allons délivrer ma
file !
En disant ces mots, le baron assura dans sa
main un poignard sur lequel Adeline jeta un sombre regard. Puis il
ouvrit la porte qu’il avait fermée en entrant dans la chambre à
coucher. Adeline passa la première. Hubert suivit, surveillant ses
gestes.
Elle atteignit la tenture, au fond du
corridor. Elle souleva cette tenture, et le baron vit en frémissant
une porte pleine, solidement verrouillée… une porte de prison… ou
de tombeau. Adeline poussa les trois verrous, lentement.
La porte ouverte, le baron vit une pièce
étroite, sans fenêtre, sans aucune communication avec le reste de
l’hôtel, recevant l’air par un trou percé au-dessus de la porte.
Cette pièce était meublée d’un lit étroit, d’une table et d’une
chaise. Sur la table il y avait une lampe allumée, et à la lueur de
cette lampe, le baron vit Lise !… Elle était assise sur la
chaise, dans une attitude de morne indifférence. Au bruit de la
porte qui s’ouvrait, Lise avait dressé la tête. En apercevant le
baron, elle se leva toute droite, en murmurant :
– Vous !… Oh ! sauvez-moi, par
pitié, sauvez-moi de cette femme !…
– Mon enfant ! bégaya le baron. Ma
fille ! sois rassurée… ne crains plus rien… tu es sauvée,
puisque voici ton père !…
– Mon père ! balbutia Lise en
pâlissant.
Et au même instant, le récit que lui avait
fait Marie Charmant dans le galetas de La Veuve se présenta tout
entier à son esprit… Mais le baron, ivre de joie, les yeux plein de
larmes, s’avançait vers elle, les bras ouverts…
Dans cet élan de son être vers celle qu’il
appelait Valentine, en cette seconde bénie où tout ce qu’il y avait
d’amer et de terrible dans cet homme se fondait en un sentiment
d’une infinie douceur, le poignard qu’il tenait à la main s’échappa
et tomba sur le tapis…
– Viens, ma fille, sanglota le baron,
viens, ma pauvre Valentine… tes chagrins sont finis, nous allons
fuir, partir ensemble… Seigneur ! comme tu es pâle… comme tu
as dû…
Un cri terrible l’interrompit…
Sapho venait de ramasser le poignard et d’en
frapper Lise en hurlant :
– Puisque je dois mourir, meurs donc la
première, Valentine d’Anguerrand !…
Lise s’affaissa dans les bras du baron, le
corsage empourpré de sang. Hubert ne dit pas un mot. Il enleva Lise
dans ses bras robustes, et d’un bond fut hors de la pièce ;
dans le couloir, il déposa la jeune fille évanouie, morte
peut-être… Dans le même instant, il se releva et se tourna vers
Sapho qui marchait sur lui, le poignard levé. Le baron n’eut qu’un
geste : sa main s’abattit sur le poignet de Sapho…
Sapho poussa un hurlement de douleur et lâcha
le poignard.
Alors le baron la poussa dans l’intérieur de
la pièce…
Il était d’une pâleur de cadavre. Adeline se
mit à trembler de terreur, toute sa rage tombée, comprenant que,
cette fois, elle était condamnée sans rémission. Pourtant,
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