Fleurs de Paris
Rien,
que je te dis !…
– Eh bien ! moi, je te dis qu’il y
avait là un roussin !… Ils ne me tiennent pas, va ! Si je
suis entré dans la cambuse, c’est pour leur faire croire que je
coupe dans le pont… Nous avons cinq bonnes minutes, car ils veulent
nous laisser le temps de nous pieuter…
Sans hâte apparente, méthodiquement, ils se
mirent â tordre les bandes des draps, que Jean Nib déchirait avec
son couteau, puis à nouer l’une à l’autre les bandes tordues.
Lorsque Jean Nib jugea que cette sorte de corde était assez longue,
il en attacha l’une des extrémités à l’appui de la fenêtre.
– Souffle la camoufle, dit-il.
Rose-de-Corail éteignit la bougie qui brûlait
sur la cheminée.
Alors, prés de la fenêtre ouverte, dans
l’obscurité, serrés l’un contre l’autre, le couteau au poing, le
cou tendu, ils écoutèrent les bruits du silence. Tout à coup,
Rose-de-Corail tressaillit et saisit une main de Jean Nib.
– Oui, fit-il dans un souffle. Les voilà…
descends… et surtout, te presse pas !…
Dans l’escalier, le silence était aussi
profond. Mais Rose-de-Corail avait entendu, elle ! mais Jean
Nib avait entendu, lui !… Les policiers étaient dans
l’escalier… et pour la réussite de sa tentative désespérée, il
fallait que les policiers fussent dans l’escalier ; descendre
une seconde avant c’était trop tôt ; une seconde après c’était
trop tard… Jean Nib enleva Rose-de-Corail dans ses bras et la tint
suspendue dans le vide… Elle saisit la corde et descendit… Jean
Nib, penché, la sueur au front, suivait tous ses mouvements. Une
voix étouffée – la voix du patron de l’hôtel – à travers la
serrure, dit sourdement :
– Jean !… Ohé, Jean Nib !… Y a
un copain qui veut te parler illico… Ohé, Jean !…
M’entends-tu ?
– Toi ! gronda Jean Nib en lui-même,
ton compte est bon, si je peux jamais te revoir nez à
nez !…
Une secousse de la corde lui dit que
Rose-de-Corail était en bas. Il eut un large soupir de joie et, à
son tour, il enjamba… En quelques secondes, il toucha le pavé de la
cour.
L’allée de l’hôtel aboutissait à cette cour.
Au bout de l’allée, Jean Nib vit, sur le trottoir, éclairé par la
lanterne de l’enseigne, deux colosses trapus… deux agents de la
Sûreté en faction.
– Prends celui de gauche !
souffla-t-il à Rose-de-Corail.
À ce moment, là-haut, un violent craquement se
fit entendre : c’était la porte de la chambre que Finot
enfonçait d’un coup de pied… Une voix tonna : « Au nom de
la Loi !… » Jean Nib se rua dans l’allée… en trois bonds,
il fut sur les agents… une détonation de revolver éclata… L’agent
qui venait de faire feu, dans le même instant, roula sur le
trottoir, sans un cri. Jean Nib, d’un furieux coup de tête, venait
de lui défoncer la poitrine, et, à la même seconde, avec un
grondement furieux, il se retournait sur l’autre agent, mais il le
vit qui chancelait et s’abattait, la gorge ouverte par le coup de
poignard de Rose-de-Corail… En haut, un hurlement, des grognements,
des jurons… puis tout s’apaisa soudain… Finot écumant, apparut sur
le trottoir : Jean Nib et Rose-de-Corail avaient
disparu !… Une minute, à peine, s’était écoulée, depuis le
moment où Jean Nib avait enjambé la fenêtre.
Sur le trottoir, Finot ne jeta même pas un
regard sur les deux agents blessés, morts peut-être. Les bras
croisés, le nez au vent, il réfléchissait, cherchait la piste,
constituait dans sa tête l’itinéraire probable des deux fugitifs…
Les cinq agents qui l’entouraient attendaient en silence. Tout à
coup, il grogna :
– Trois hommes de renfort au premier
poste. Rendez-vous général au bassin de la Villette…
Il se fit un mouvement, un glissement
d’ombres, et l’instant d’après, le trottoir était désert sous la
lumière jaune et triste de la lanterne de la
Marmotte
. Les
garçons de l’hôtel avaient transporté les deux blessés à
l’intérieur ; les cinq agents s’étaient éloignés. Finot
lui-même s’était mis en route après avoir jeté son ordre.
Il marchait sur la chaussée centrale, la tête
penchée, les mains au dos, les lèvres serrées, le front plissé…
Tout à coup, il s’arrêta et renifla, en arrêt
sur la piste qu’il constituait en calculs serrés. Une sombre flamme
d’orgueil éclaira ses yeux.
– Je les tiens ! gronda-t-il.
Chapitre 36
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