Fleurs de Paris
poitrine. D’une violente saccade, il poussa l’homme vers
la porte… En quelques pas, ce groupe eut atteint la porte du café,
qu’un garçon s’empressait d’ouvrir.
Le rasta roula sur le trottoir, et, ramassant
son chapeau, il se releva en bégayant :
– Vous aurez de mes nouvelles !…
Laissant le rasta, blême de rage s’éloigner en
grognant des menaces, Ségalens rentra paisiblement dans le
restaurant où il devint le point de mire de tous les regards.
– Monsieur, lui murmura Magali, je ne
suis qu’une pauvre fille. Ce qu’il y a d’atroce, voyez-vous, c’est
l’insulte de l’homme. Nous vivons dans l’insulte, nous autres. Je
voudrais pouvoir vous remercier… mais comment ? Oh ! si
le hasard voulait que vous eussiez besoin de moi !… S’il y
avait au monde un service que je puisse vous rendre !…
Elle tremblait ! Des larmes brillaient au
bord de ses cils.
Elle baissa les yeux.
– Mais sans doute que je vous offense en
vous disant que vous pourriez jamais avoir besoin de
moi !…
– Non, mademoiselle, fit doucement
Ségalens, vous ne m’offensez pas, vous me faites plaisir, voilà
tout.
– Bien vrai !… Vous ne me méprisez
donc pas, vous ?
– Et pourquoi donc ?… Mais j’y
pense ! fit-il tout à coup en se frappant le front. Oui, il y
a peut-être un service que vous pourriez me rendre…
– Oh ! si cela était ! murmura
ardemment Magali.
– Ma foi, tenez ! service pour
service, nous serons quittes. Pourriez-vous pendant quelques jours
donner l’hospitalité à un malheureux homme digne de pitié, je vous
assure. Il est chez moi. Il a voulu se tuer… par misère, sans
doute. Il en est réchappé par miracle. Or, cet homme, ce
malheureux, mademoiselle, a besoin de se cacher quelque temps…
jusqu’à ce que je lui aie trouvé quelque part en province une
occupation qui le fasse vivre. Chez moi, il est aussi peu caché que
possible… et, en outre, je ne sais trop pourquoi, il est inquiet et
sombre au delà de toute expression… il écoute, il tremble…, il
semble redouter je ne sais quel voisinage…
– Où est-ce, chez vous ? demanda
Magali.
– Faubourg Saint-Honoré, fit Ségalens
avec un sourire.
– Et cet homme, comment
s’appelle-t-il ?
– Je l’ignore. C’est un malheureux, voilà
tout. Il n’a pas de nom. Il est le Malheur, et vous serez la Pitié.
Voulez-vous ?
– Si je veux ! s’écria Magali
rayonnante. Vous pouvez me croire. Tout ce que vous me dites me met
au cœur une joie et un orgueil que je ne connaissais plus depuis
longtemps.
– Ainsi, dès demain, je vous amène ce
malheureux ?
– Quand vous voudrez ! Il sera chez
moi comme chez vous, aussi longtemps que vous voudrez.
– Je demande à entrer en tiers dans ce
sauvetage, dit Pontaives en reprenant avec effort son sourire de
Parisien sceptique. Mon ami fournit l’homme. Mademoiselle fournit
le logis. Moi, je fournirai la dépense… Oh ! ajouta-t-il, vous
n’allez pas me refuser cela ?… Tenez, mademoiselle,
permettez-moi…
Il tira une bague de son petit doigt et la
tendit à Magali qui, soudain rouge de plaisir, la saisit en
s’écriant :
– Oh ! le beau brillant !…
– Portez-le en souvenir de
moi !…
Le diamant valait deux cents louis. Magali,
quelques instants, en admira le feu et la limpidité, puis elle le
passa à son doigt. Cinq minutes plus tard, ils sortirent tous
trois.
Au moment de les quitter, elle leur tendit à
chacun une main. Ségalens serra la main qui lui était offerte. Max
Pontaives déposa sur celle qu’il tenait entre ses doigts un baiser
dont la ferveur le fit tressaillir lui-même.
Magali soupira, et son dernier regard fut pour
Ségalens.
Chapitre 33 L’HÔTEL D’ANGUERRAND
Adeline resta jusqu’au soir prostrée, absorbée
par les préparatifs de sa pensée qui l’entraînait au crime. Pas de
pitié, d’ailleurs, pour cette jeunesse en fleur qu’elle allait
briser. Pas de discussions inutiles avec elle-même. Pas de remords
anticipé. Elle accomplissait froidement une besogne qu’elle jugeait
inévitable, et c’était tout.
C’était le crime dans sa plus hideuse nudité,
dépouillé de ces mouvements de la passion qui peuvent, parfois,
jeter sur lui une gaze. Elle se préparait à tuer avec une sorte
d’effroyable sérénité.
Le soir vint. Sapho annonça qu’elle ne
dînerait pas, qu’elle allait se coucher, et ordonna qu’au plus tôt
chacun se retirât dans sa
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