Fortune De France
aussi ce que je me
répète. Mais imaginez douze mille soldats lâchés dans une petite ville comme
Sarlat, qui ne compte pas cinq mille habitants ! Mon frère, sont-ce là nos
évangiles ?
On
apprit le jour suivant que Duras avait mis en batterie chasse-messe et
deux couleuvrines dans un jardin au pied de Pissevi, non loin de la fontaine de
Boudouyssou. Le tir commença à huit heures du matin, et deux heures plus tard,
la muraille qui faisait face s’écroulait, mais la batterie de Duras avait été
si mal et hâtivement installée, sans levée de terre pour la protéger, sans
fascines ni gabions pour la couvrir, que l’âpre mousquetade qui partait de la
ville tua le maître de l’artillerie, blessa le canonnier et força le reste des
servants de se retirer. Chasse-messe et les deux couleuvrines restèrent
ainsi abandonnées dans leur jardin, la grêle ininterrompue des arquebusades
tirées par les assiégés interdisant leur accès. Si les Sarladais avaient eu
assez de monde pour faire une sortie, les trois pièces étaient à eux. Mais ils
n’y pensaient point. Ils avaient fort à faire à remparer leur mur de ce côté.
À
dix heures du soir, la nuit étant tombée, les nôtres donnèrent une alarme de
tous les côtés, avec grandes sonneries de trompettes, battements de tambours,
hurlements étranges, échelles brandies et salves d’arquebuses, et à la faveur
de cette diversion, ils réussirent à retirer chasse-messe et les
couleuvrines du jardin de Pissevi, et les placèrent plus heureusement au
sud-ouest de la ville, sur la colline de Pechnabran, d’où elles dominaient la
muraille. Là aussi, elles jetèrent bas les défenses. Mais les assauts que Duras
donna le 5 et le 6 octobre furent partout repoussés par les assiégés, et le 6
au matin, Duras, apprenant que M. de Burie faisait mouvement pour le rejoindre,
leva le siège, non sans brûler les faubourgs, le couvent des Cordeliers et le
château de Temniac.
Il
prit alors en toute hâte par Meyrals et Tayac dans la direction de Périgueux,
mais il ne put même atteindre la ville. Il fut rejoint le 9 octobre dans la
plaine de Vergt, surpris par Montluc et écrasé. Ce fut un carnage affreux. Les
paysans s’en mêlant, on tua là six mille huguenots dans les bois alentour. Il
n’y eut pas de quartier. Le reste des huguenots de Duras s’enfuit à vaudéroute,
et quand Duras atteignit Orléans, il ne lui restait plus que cinq mille hommes
à bout de forces, de valeur et d’espoir. Les trois jours qu’il avait perdus
sous les murs de Sarlat avaient coûté au parti huguenot la moitié d’une armée
et la première défaite de la guerre.
Huit
jours après la sanglante défaite de Vergt, Samson, François et moi, nous
étions, en fin d’après-midi, au premier étage du châtelet d’entrée, assis
autour d’Escorgol, l’écoutant dévider un conte de sa Provence. Et bien que
notre guetteur contât fort bien, d’une voix forte et sonore en belle langue
d’oc, quelque peu différente de notre périgordin, je voyais bien que mon aîné
n’écoutait que d’une oreille, surtout lorsqu’un pas peu pesant se faisait
entendre au-dessus de nos têtes, séparé de nous par un plafond de châtaignier
qui n’avait pas plus d’un pouce et, sur ordre de la frérèche, ajusté si
rapidement par Faujanet que du jour apparaissait entre les planches. Je jetai
un petit coup d’œil malicieux à Samson, mais innocent comme il l’était encore,
faisant de ses nuits le même usage que Barberine (je ne sais à qui, sinon
peut-être au diable, je dois tant de remerciements, que mes anges gardiens en
la tour aient eu si bon sommeil), Samson ne quittait pas de son regard clair le
visage d’Escorgol, tout ouïe à son dire et le sourcil froncé quand quelque mot
provençal l’étonnait.
À
côté de la grande cheminée – car, les nuits d’hiver, il faudrait du feu à
notre guetteur pour le tenir éveillé – s’ouvrait, taillé dans l’épaisseur
du mur, un escalier à vis en pierre qui menait à l’étage au-dessus, tant courbé
et tant étroit qu’il avait fallu monter par la fenêtre le mobilier destiné à la
chambre que Diane partageait avec sa chambrière. La cheminée était au nord,
rigoureusement assise sur la nôtre, les deux conduits, avant de sortir du toit
de lauzes, se confondant. Mais, sur l’ordre de mon père, le foyer du dessus
brûlait d’un feu ardent, et, en prêtant l’oreille – comme faisait
François
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