Fortune De France
brillant dans ses orbites, et le
visage bourrelé de froncements, dit d’un ton peu amène en tapant des deux mains
sur les bras de son fauteuil :
— Mais
l’affaire est loin d’être faite ! Monsieur le Baron et moi, nous devons
consulter.
À
cela, Coulondre ne répondit rien, et regarda le feu.
— Coulondre,
dit Sauveterre, si nous te construisons un souterrain, ne sera-ce pas une
grande tentation, si l’attaque devient chaude, d’abandonner ton poste ?
Une
ombre de sourire se dessina sur le visage long et lugubre de Coulondre.
— Moi,
dit-il, abandonner vos grains ? Vos farines ? Et mes porcs ?
C’était
bien répondu. Mais, pour d’autres raisons, la frérèche se sentait fort
troublée. Pour la première fois dans l’histoire de Mespech, elle était amenée à
discuter d’un contrat qui ne fût pas d’emblée à son avantage.
La
consultation de la frérèche dura un grand jour, et c’est dommage qu’elle n’ait
pas été consignée sur le Livre de raison. Je me plairais fort,
aujourd’hui, à la lire. J’en sais du moins le résultat.
Le
lendemain soir, la frérèche fit à Coulondre des propositions. Consentirait-il à
élever, en même temps que ses trente porcs, à Gorenne, un même nombre de porcs
pour Mespech ?
— Non,
dit Coulondre. Soixante, c’est trop. Les grands élevages font les grandes épidémies.
En outre, il n’y a pas de place assez à Gorenne pour tant de bêtes.
— Si
nous te donnons les terres des Beunes à compte et demi, il faudra que tu fasses
les façons, et nous déduirons alors de ta moitié de récolte la location de
l’araire, de la herse et du cheval.
— Je
remercie les Messieurs pour la location, dit Coulondre, mais avec le reste de
ma picorée, je compte m’acheter le cheval et les outils.
— Si
l’affaire se fait, nous donneras-tu à Mespech, comme tous nos tenanciers, des
journées de travail ?
— Oui,
dit Coulondre, mais à raison de cinquante par an.
— Pourquoi
cinquante ?
— En
me faisant huguenot, dit Coulondre, j’ai renoncé à cinquante jours chômés par
an, ceux qui célébraient les saints. Et si je vous donne cinquante journées en
plus, cela fait cent. Avec votre respect, c’est assez. Il me faut du temps pour
Gorenne.
Sauveterre
fronça les sourcils.
— Regrettes-tu
de t’être fait huguenot ?
— Nenni,
dit Coulondre, lugubre et respectueux, et l’œil fixé sur les flammes de l’âtre.
Quand
il eut quitté la pièce, Sauveterre opina d’une voix blanche pour qu’on chassât
Coulondre tout de gob de Mespech pour son incroyable insolence.
— Qui
plus est, ajouta-t-il, ses petits yeux noirs brillant de fureur, c’est un
réformé des plus tièdes.
— Comme
la plupart de nos gens, dit mon père avec un sourire. Mais du moins, lui, il
n’est pas resté papiste dans son cœur, comme d’aucunes que je pourrais dire.
Il
fit quelques pas dans la pièce, le torse redressé et les mains aux hanches. Il
reprit :
— Et
il n’est pas tant insolent qu’il ne tâche de défendre ses intérêts, comme nous
faisons.
— Il
ne les défend que trop !
— Comme
il défendra Gorenne ! Et nos farines, en même temps que ses porcs !
Comme il a défendu Jacotte sur le revers du talus, où les méchants l’avaient
jetée ! Du bec et des ongles ! Avec ruse ! Avec sagesse !
Avec l’insolence que vous lui reprochez ! Avez-vous ouï son excellente
remarque sur la cloche pour alerter Mespech ? Cet homme-là n’a pas la tête
légère ni la volonté molle !
— Mon
idée est toutefois qu’on le chasse ! dit Sauveterre, le front irrité, en
fendant l’air de sa dextre.
— Mon
idée est qu’on lui confie Gorenne ! dit mon père en riant.
— Quoi !
Lui confier Gorenne ! À ses damnables conditions !
— Mon
frère ! Mon frère ! dit Jean de Siorac en venant derrière Sauveterre
et en appuyant ses deux mains sur ses épaules. Il faut accepter de perdre un
peu pour gagner plus !
Le
lendemain, Sauveterre céda. Et c’est ainsi que, de mercenaire qu’il était,
Coulondre devint tenancier, alors que dans la famine des temps, maints petits
propriétaires vendaient leur terre aux prêteurs de grains, et pour quelques
sols ensuite, la cultivaient pour eux.
1563
fut une année calamiteuse dans le Sarladais. Tout comme six ans plus tôt, en
1557 – l’année dont Faujanet parlait toujours, tant l’avaient frappé
alors l’extrême courroux de Dieu et son
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