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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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chambrière Franchou  – qui fut aussi celle de
votre défunte épouse  – fut aussitôt enfermée dans la maison de sa
maîtresse, portes et contrevents cloués. Pratique cruelle, certes, mais qui est
comme vous savez de règle, et contre laquelle je ne puis rien. Franchou est
ravitaillée par un corbillon qu’elle descend dans la rue au bout d’une corde
par un fenestrou de soupente. Elle subsiste de charité publique, et assez mal.
La pauvre garce est presque folle de peur, de faim et de désespoir, et passe
son temps à pleurer, à gémir et à appeler, suppliant qu’on la tue au lieu de la
serrer prisonnière dans une maison infecte [23] . »
    Mon
père reçut cette lettre le 6 juillet au matin, et à son sujet, il eut des
discussions fort âpres avec Sauveterre. La fenêtre de la librairie étant restée
ouverte en raison de l’accablante chaleur, j’en perçus les échos, mais sans
pouvoir en conjecturer le pourquoi. Cependant, je vis mon père descendre,
quelques instants plus tard, les marches du perron, le sourcil froncé et l’air
résolu, et ordonner d’une voix brève aux frères Siorac de tuer un jeune bœuf
que nous venions d’acheter, de le dépouiller, de le mettre en quartiers, et de
charger ceux-ci sur un de nos chariots.
    La
même après-midi, comme François, Samson et moi tirions à l’épée contre Cabusse,
qui venait tous les jours du Breuil nous exercer, mon père entra dans la salle
d’escrime, le front soucieux.
    — Adieu,
Cabusse ! dit-il en prenant, non sans effort, me sembla-t-il, son ton
enjoué. Adieu, mes droles !
    — Adieu,
Moussu lou Baron ! dit Cabusse en le saluant de l’épée et s’adressant à
lui avec beaucoup de finesse, à mi-chemin du familier et du respect, comme s’il
était lui-même à demi gentilhomme.
    — Et
comment va Cathau ?
    — Elle
s’arrondit, dit Cabusse en tirant de la main gauche sur sa terrible moustache
et, de la droite, appuyé sur son épée comme sur une canne.
    Il
reprit avec un large et viril sourire :
    — Son
terme approche. Elle est pour poser fin juillet.
    — Fin
juillet ! Par ce soleil ! Ce sera un pitchoune frileux !
    — Je
le crois aussi, dit Cabusse.
    — Et
ton voisin Jonas ? ajouta mon père.
    — Ah,
Jonas ! Jonas ! dit Cabusse avec une soudaine bouffée de poésie
gasconne. Depuis qu’il a sa Sarrazine et sa maison, il ne hennit plus après
d’autres avoines. Mais cœur contre cœur, il est content.
    — Porte-lui
mon bonjour, à sa femme, à la tienne aussi. Comment tirent mes droles ?
    — Passablement,
dit Cabusse, qui était avare de louanges, mais non de paroles, étant quasi
amoureux de sa propre éloquence.
    Il
poursuivit :
    — À
chacun son défaut, et aussi sa vertu. Des trois, Moussu Samson est le plus
fort. Il a un poignet de fer. Mais sans le vouloir offenser, ajouta-t-il avec
cette rude délicatesse qui plaisait tant à mon père, il a le cerveau un peu
gourd. Pour Moussu François, il a l’œil vif et vigilant, il rompt et se défend
fort bien, mais, prudent à l’excès, il ne pousse pas sa botte. Moussu Pierre,
lui, est tout attaque et furie, ne rêve que plaies et mort, fonce comme un
petit taureau. Mais il se garde mal, il se découvre. Je l’eusse tué cent fois.
    — Chacun
des trois doit donc apprendre de l’autre sa vertu, dit mon père. Mes droles,
poursuivit-il en prenant un air de gravité, la peste est dans Sarlat. J’y vais
demain porter un demi-bœuf à M. de la Porte. En raison de la contagion, je ne
prendrai pas de domestiques pour escorte, seulement des gens de ma famille. Les
frères Siorac, et l’un de vous, s’il lui plaît.
    — Moi,
dis-je, encore tout suant et haletant de l’assaut que je venais de donner à
Cabusse. Puisque je dois être médecin, il est temps que je m’apprivoise à la
maladie.
    — Moi,
dit Samson aussitôt que j’eus parlé.
    — Moi,
dit François avec un temps de retard.
    — Non,
pas vous, François, dit Siorac. Je ne veux pas faire courir ce risque à mon
aîné. Mais j’emmènerai Pierre et Samson, puisqu’ils y consentent. Adieu
Cabusse ! Adieu mes droles ! Je suis fier de vous. La bravoure ne se
montre pas que l’épée à la main.
    Là-dessus,
l’œil brillant et l’air assez ému, il pivota sur ses talons à sa manière
abrupte et nous quitta.
    Le
soir, mon père ordonna à Samson et à moi de nous retirer, après le dîner, dans
la salle du haut de la tour nord-est  – celle-là même où nous

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