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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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vache était tombé de moitié,
tant la sécheresse avait accru le nombre des vendeurs.
    Ainsi,
à chaque famine, Mespech arrondissait son domaine et multipliait son troupeau.
Mon père en était durement travaillé en sa conscience. Il dit et maintes fois
répéta, en ces temps, qu’il eût éprouvé moins de scrupule à vendre notre
froment à Sarlat au prix inouï qu’il y avait atteint, de trois livres pour un
quarton [22] de froment, et cinquante sols pour un quarton de seigle.
    Mais
Sauveterre, aux écus entassés dans les coffres préférait un agrandissement du
domaine, et là-dessus, il ne céda pas un pouce.
    — Mais,
dit Siorac, encore très troublé, qu’arrivera-t-il de ceux de nos villageois qui
n’ont plus de terre à gager, ni même à vendre ? Allons-nous les laisser se
périr de la faim ?
    — Nenni.
Nous leur baillerons du grain contre la force de leurs bras. Et ils nous
repaieront dans l’année en journées de travail. Nous n’aurons donc pas tant à
dépenser en mercenaires au moment du foin ou des récoltes, ou de nos travaux de
voirie.
    Mon
père baissa la tête et regarda ses bottes, les sourcils froncés et l’air assez
chagrin.
    — Ainsi,
dit-il au bout d’un moment, tout, même la sécheresse, nous devient pain et
miel. Tout nous accroît. Tout nous profite. Il me semble, pourtant, mon frère,
que nous prospérons trop sur la misère des temps.
    — Ce
n’est point nous qui l’avons provoquée, dit Sauveterre, et rappelez-vous, je
vous prie, la parole de Calvin : « C’est une grâce spéciale de Dieu
quand il nous vient à l’entendement d’élire ce qui nous est profitable. »
    — Certes !
Certes ! dit mon père. Mais à ce compte, les pauvres, autour de nous,
deviennent toujours plus pauvres, et Mespech, à proportion, s’enrichit.
    — Je
ne vois pas que nous ayons à le regretter ni à battre là-dessus notre coulpe,
dit Sauveterre avec fermeté. Nous n’allons point donner dans l’hypocrisie des
papistes, qui vivent dans la pourpre tout en donnant comme une grande vertu la
pauvreté volontaire. Non, Jean, l’enseignement de Calvin est ici lumineux.
Qu’il y ait beaucoup de pauvres et quelques riches n’est pas dû au hasard. Ce
que chacun possède ne lui est point advenu par cas fortuit, mais par la
distribution de celui qui est le souverain Maître et Seigneur de tout.
    — Je
le crois, dit mon père.
    Mais
au bout d’un long moment, et émergeant de ses réflexions, il dit en baissant la
voix :
    — D’où
vient donc que mon cœur se tourmente de la grâce qui nous est faite, comme s’il
la trouvait excessive ?
     
     
    Le
6 juillet, la frérèche reçut par chevaucheur un billet de M. de la Porte. Le
lieutenant-criminel l’informait que la peste avait éclaté à Sarlat avec une
grande violence, tuant une centaine de personnes par jour. Pour éviter que la
contagion se répandît dans toute la sénéchaussée, il avait ordonné, avec
l’accord des Consuls, la fermeture des portes. Mais comme il fallait néanmoins
que la ville fût ravitaillée, il priait mon père d’avertir nos laboureurs qu’on
maintenait les marchés aux jours accoutumés, mais hors des murailles, dans le
faubourg de la Lendrevie. Ainsi les villageois pourraient continuer à apporter
leurs œufs, beurre, légumes, fromages et autres viandes, mais sans entrer dans
l’enceinte, tous les achats des Sarladais étant faits par le truchement de
commissionnaires qui logeaient dans les faubourgs et ne pénétraient pas non
plus dans la ville, mais livraient les marchandises à leurs chalands par les
guichets. M. de la Porte demandait à la frérèche s’il lui serait possible de
pourvoir, par l’abattage et la livraison d’un demi-bœuf, à la nourriture de la
ville. « À vrai dire, poursuivait M. de la Porte, la demande de chair
n’est pas aussi forte qu’elle l’a été. Car tout ce qu’il y avait ici de
noblesse et de bourgeois étoffés, sans compter les juges, l’évêque et ses
vicaires, ont fui la ville avant la clôture des portes, pour se réfugier dans
leurs maisons des champs. Cependant, il reste ici les deux Consuls, quatre
chirurgiens, les officiers royaux et moi-même, qui n’entendons pas courir aussi
le risque de périr de la faim, dans le grand danger où nous sommes. »
    M.
de la Porte ajoutait en post-scriptum : « Vous serez bien marri
d’apprendre que M me de la Valade est morte de la contagion le 4. Le
corps enlevé, sa pauvre

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