Fortune De France
inflexible entêtement à retenir sa
pluie dans ses nuages –, la sécheresse fut, en cette année de mes douze
ans, proprement effroyable.
Déjà
l’hiver s’était ressenti davantage du froid que de l’eau, mais quand vint mars,
le temps se mit à la chaleur, quasi comme en été, et à part deux ou trois
averses si faibles qu’elles ne firent que mouiller la peau du sol, plus rien ne
tomba du ciel. L’herbe n’eut même pas l’heur de partir en ses pousses
nouvelles, vertes et brillantes, du printemps. Elle resta rase, comme après la
pâture de l’automne, et dès le mois de mai, le soleil ardant sur elle tout le
jour, elle se mit à jaunir. Le blé leva, mais mal, en tiges petites et
dispersées, les maigres épis les courbant à peine, la terre des labours se
fendant et se fissurant comme si elle allait bâiller jusqu’aux enfers, et pis
que tout, le bon humus gras et humide se changeait en poussière que l’aigre
vent du nord-est emportait en tourbillons.
Dès
juillet, les sources et les puits se tarirent par dizaines, les mares
baissèrent, le courant tumultueux des Beunes diminua de moitié. Les meuniers,
sur leur cours, défendirent qu’on y vînt puiser, et défense, à leur tour, leur
fut faite par les sénéchaussées, de creuser des biefs ou d’élever des digues
qui eussent enlevé de l’eau aux moulins en aval. Nos voisins des villages,
charroyant des cuves, vinrent à Mespech mendier de quoi les remplir à l’étang,
pour abreuver leurs bêtes, permission d’abord donnée, mais qu’il fallut
restreindre à nos seuls tenanciers, quand on s’aperçut que le trop-plein de
notre puits ne coulait plus que goutte à goutte. Notre puits lui-même n’assécha
point, mais le niveau de l’étang baissa de cinq pieds, ce qui nous effraya tous
car, d’après le dire de la frérèche, même en 1557, il n’avait pas autant décru.
Le
temps des foins arriva, mais il n’y avait nulle part d’herbe assez pour mettre
sous la faux, sauf encore dans les combes, dont les fonds s’étaient gardés humides.
Mais là, il fallut ouvrir l’œil et pointer l’oreille, car d’aucuns venaient la
nuit avec une faucille couper le peu qu’il y avait pour donner, qui à sa
chèvre, qui à sa maigre vache. Nos soldats se mirent à l’affût, et capturèrent
un de ces malheureux qui, déjà, se voyait promis au gibet de Mespech, et
lamentait non point son sort, qu’il cuidait mérité, mais celui de sa veuve et
de ses enfants. Mais le pauvre vilain était de Sireil, la frérèche répugnait à
pendre un homme de nos villages. En outre, il était papiste, et on eût pu
croire, ou dire, ou laisser entendre, que Mespech avait agi contre lui par
zèle. Aussi la frérèche décida de cligner les yeux sur son crime, et après
l’avoir serré deux jours dans une tour, on le relâcha sous promesse de nous
donner quarante jours de corvée par an pendant deux ans, nourri mais non payé.
L’homme fit sa peine en conscience, et je le revois encore à notre table,
mettre, en se cachant, la moitié de ce que la Maligou lui servait dans un sac
qu’il rapportait en sa masure à sa femme et ses six enfants. Il s’appelait
Pierre Petremol, et il était le frère cadet de celui qui avait guéri de ses
rhumatismes – et aussi de la vie – en se plongeant l’hiver dans la
fontaine glacée de saint Avit.
Mais
la mansuétude de Mespech ne servit point, pas plus que n’eût fait, à sa place,
la sévérité, tant était grand et pressant le besoin des hommes. Les vols
d’herbe continuèrent. Il fallut hâter les foins dans nos combes, et dès que nos
épis furent mûrs, faire aussi la moisson, car déjà, le long des Beunes, des
gueux de passage nous avaient dévoré sur pied un petit champ de froment, tiges
et tout.
Escorgol,
en ces temps, avait fort à faire, tant fut continuel, sous le châtelet
d’entrée, le défilé des pâtres et laboureurs qui, les larmes leur coulant des
yeux et les mains jointes, venaient prier les messieurs de leur prêter du blé
pour eux-mêmes et du foin pour leurs bêtes. Ces prêts étaient gagés sur leurs
champs et leurs récoltes, et comme tous, ou presque tous, étaient déjà dans nos
dettes – certains nous payant une rente annuelle en grains après la
moisson –, d’aucuns en arrivèrent à nous vendre leur terre afin de payer
leur pain. D’autres, faute de pouvoir les nourrir, nous vendaient leurs bêtes,
très avantageusement pour nous, car le prix de la
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