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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de la plainte et du grondement.
    — Allons,
Baron ! Assez parlé ! dit Forcalquier. Tu entends mes sujets !
Il faut mourir !
    Et
ce disant, il tira de sa ceinture son grand couteau. Cet homme-là était brave
ou fou, je ne sais, car le canon d’un des pistolets de mon père, à ce même
instant, était pointé sur son cœur. Mais mon père ne tira point.
    — Prends
garde, Maître Forcalquier ! dit-il d’une voix grave. Après la peste, on
vous demandera raison, à toi et tes sujets, de cette émotion que voilà !
    — Après
la peste ! s’écria Forcalquier. Mais il n’y aura pas d’après la
peste ! (il dit ceci avec un grand geste de son couteau comme s’il coupait
d’un coup toutes les têtes du faubourg). Je le sais d’autorité divine,
poursuivit-il, fixant ses yeux noirs exorbités sur le visage de mon père. La
Vierge Marie m’est apparue en songe et m’a assuré, sur la foi de son divin
fils, qu’il n’y aura personne, homme ou garce, pour survivre de la contagion
dans le faubourg de la Lendrevie. Baron, tu ne nous précéderas que de fort peu
dans la mort. La maladie n’épargnera personne céans, le Ciel me l’a dit.
    Il
donna derechef dans l’air de son couteau.
    — Nous
mourrons tous ! cria-t-il en haussant la voix.
    — Tous !
Tous ! reprit le populaire en un écho lugubre.
    Et
je vis à l’expression qui passa dans les yeux de mon père qu’il commençait à
craindre le pire de ces manants désespérés.
    Cependant,
quand il parla de nouveau, ce fut sur un ton enjoué et comme amical.
    — Bonnes
gens, dit-il, si nous devons mourir, de quoi vous profitera ma mort ?
    — Nous
mangerons tes chevaux ! cria une voix.
    — Ah,
bonnes gens ! dit mon père avec une promptitude admirable. Je vous entends
enfin, et vous me rassurez ! Ce n’est pas la méchanceté qui vous pousse,
c’est la faim ! Mais s’il en est ainsi, je vous propose une rançon pour
racheter nos vies et la liberté de cette pauvre garce : Une belle et bonne
pièce de bœuf fraîchement tué d’hier. Je dis, poursuivit-il, dressé sur ses
étriers, une belle et bonne pièce de bœuf ! Mon fils Pierre va l’aller
quérir à la porte. Mes bons amis, de la chair ! Vous allez manger de la
chair !
    Je
donnai de l’éperon et mon genet noir, glissant sur les pavés, partit en flèche
comme un vaillant. Les cousins Siorac se préparaient à vendre au guichet le
dernier quartier de bœuf quand je fondis sur eux. Hurlant et gesticulant, je
leur criai de n’en rien faire et de me suivre. Et à ma suite, en effet, le
chariot déboucha à bruit d’enfer sur la placette où mon père discourait
toujours, tenant le populaire en haleine, et empêchant Forcalquier de reprendre
la parole.
    La
sueur lui dégouttant du front dans les yeux, mon père poussa un soupir en nous
voyant surgir, d’autant que la vue des frères Siorac armés en guerre et
l’arquebuse au poing fit refluer le populaire  – mais non pas Forcalquier,
qui resta ferme sur son pavé, bouche bée, mais le couteau au poing. Aussitôt,
passant ses pistolets à sa ceinture et sautant, sans mettre pied à terre, de
son cheval sur le chariot, mon père  – je ne sais où il puisa cette
surhumaine vigueur  – souleva au-dessus de sa tête, des deux mains et à
bout de bras, le lourd morceau de bœuf, et ainsi campé, les yeux fiévreux de la
foule attachés sur lui, il cria :
    — Holà,
Baron-boucher de la Lendrevie ! Découpe-moi cette portion pour toi et tes
sujets !
    Et
tout soudain, de haut en bas et avec une force extrême, il la lui jeta à la
face. Ainsi heurté, Forcalquier branla, chuta à terre à la renverse et, sa tête
portant sur le pavé, il y resta étendu, privé de sens. Aussitôt, grouillant
comme vers autour de lui, sans le relever ni l’assister d’aucune sorte, les
gueux, abandonnant leurs armes, se ruèrent comme des chiens dévorants sur la
chair, et qui avec son couteau, qui avec ses mains, qui même avec ses dents,
travaillèrent à la déchirer.
    Mon
père, les voyant ainsi occupés, appliqua l’échelle contre la maison infecte, et
Franchou, à reculons, y engagea ses pieds, puis ses mollets, puis ses cuisses,
mais hélas, étant trop forte par le méridien de son corps, elle resta coincée
dans le fenestrou à mi-fesse.
    — Ah,
ma mie ! cria mon père d’en bas, tu as trop d’une bonne chose !
Force, je te prie, force ! Il y va de notre vie !
    Tortillant,
trémoussant et forçant à

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