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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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talus du
champ.
    — N’est-ce
pas inouï qu’il soit si gai ? dis-je en le suivant des yeux.
    Mon
père hocha la tête.
    — Les
pauvres ont un certain courage, brutal et insouciant, qui naît de leur état. Et
certes, ils en ont besoin plus que d’autres, car il est faux de dire, comme je
l’ai entendu, que la contagion frappe également riches et pauvres. Vos
bourgeois étoffés, à la première alarme, appliquent à la lettre le célèbre
précepte de Galien en cas de peste : « Pars vite, va loin, et reviens
tard. » Mais les pauvres restent en lieux infects, n’ayant nulle part où
aller. Et en raison de la saleté où le sort les entretient, mal nourris et
comme entassés l’un sur l’autre, la maladie rafle tout.
    Arrivé
devant la porte de la Lendrevie, mon père héla le guet et lui demanda de
prévenir les commissionnaires qu’il apportait de la chair de bœuf pour M. de la
Porte et les Consuls. Puis, demandant aux frères Siorac de l’attendre là, il
tira avec Samson et moi en plein faubourg de la Lendrevie.
    Pour
l’air purifier et rendant la chaleur du soleil encore plus accablante, de grands
feux de résineux brûlaient à même le pavé dans les carrefours. Pas une âme à
passer dans les rues, sauf, invisibles, celles des morts. Et alors qu’à Sarlat
ils étaient toujours en excès, ni chien, ni chat, ni pigeon. On les avait
abattus en masse dès le début de la contagion, étant suspectes, les pauvres
bestioles, de la propager. Çà et là, je remarquais plus d’une maison clouée,
d’où sortaient les plaintes des emmurés. Leur porche était surmonté d’un
chiffon de crêpe noir qui voulait dire, m’expliqua mon père en baissant la
voix, qu’on ne pouvait, sous peine de mort, ni y entrer, ni en sortir, ni même
en approcher.
    Mon
père arrêta son hongre sur une place, ou plutôt une placette, au fond de
laquelle s’élevait un logis vieillot à encorbellement. Je le connaissais bien,
et je compris alors que livrer une moitié de bœuf aux Consuls et à M. de la
Porte n’était point l’unique objet de notre expédition.
    Bien
qu’il fût armé en guerre, Jean de Siorac démonta en voltige, comme il avait
accoutumé, puis il nous commanda, à Samson et à moi, de faire de même et
d’attacher les trois chevaux aux anneaux de fer scellés dans les pavés. Ce que
nous fîmes. Nous étions alors à une dizaine de pas de la maison infecte. Mon
père, ayant jeté à la ronde un regard vif pour s’assurer qu’il n’était pas vu,
franchit cette distance, et tira sur un corbillon pendant par une cordelette
d’un fenestrou de soupente. J’entendis alors un petit tintement de sonnette, et
une tête apparut à la lucarne. C’était Franchou, les traits un peu tirés, mais
les couleurs aux joues.
    — Doux
Jésus ! cria-t-elle en passant le torse à demi hors du fenestrou, ce qui
nous donna la vue de ses deux beaux tétons à peine contenus dans son corps de
cotte. C’est vous, Moussu lou Baron ! Dieu soit loué ! Vous n’avez
point abandonné votre servante !
    — Chut,
Franchou ! On pourrait t’entendre ! Es-tu malade ?
    — De
peur et de faim. Autrement, je suis saine. Depuis la mort de ma maîtresse, je
n’ai pas quitté ce réduit.
    — Je
t’en vais sortir. Crois-tu que tu pourras passer par ce fenestrou ? Tu
n’es pas garce fluette !
    — Certes !
dit Franchou. J’ai charnure en abondance, surtout dans les parties basses. Mais
je tortillerai de mon mieux. Forte souris doit pouvoir sortir de son trou.
    — Fort
bien. Je vais quérir ce qu’il nous faut.
    Et
laissant Samson à la garde des chevaux, mon père m’emmena dans les rues
voisines, visitant les cours et les appentis à la recherche d’une échelle.
Quand il la trouva, ce qui prit quelque temps, car il la fallait longue assez
pour atteindre le fenestrou, nous la prîmes chacun par un bout, et tout suant
(elle était fort lourde, et la chaleur extrême), nous revînmes vers la
placette, très troublés par les grands cris que nous entendions.
    — Quel
est ce tumulte ? dit mon père en sourcillant et en forçant le pas.
    Quand
on déboucha devant le logis de M me de la Valade, d’étonnement nous
laissâmes choir l’échelle. Samson, virevoltant sur son cheval blanc, et
pistolet au poing, tenait de son mieux en respect une trentaine de gueux armés
de piques, de coutelas, de faux, de fléaux (deux d’entre eux portant même
arquebuse), lesquels l’entouraient et entouraient nos

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