Fortune De France
Hélix qui, soulevée
sur son coude, et derrière le dos considérable de Barberine, me faisait
d’ultimes grimaces. Je ne m’assoupissais pas davantage, bien que je fisse
semblant, mais tourné sur le côté, l’œil mi-clos et faisant l’ange et
l’innocent, je regardais Barberine se déshabiller, tandis que s’agitait,
projetée par la lumière du calel sur le mur courbe de la tour, son ombre
gigantesque.
Je
sais maintenant que Barberine n’était pas aussi colossale qu’elle me paraissait
en mes six ans. C’était pourtant une forte femme, avec des cheveux noirs et
luxuriants, un visage rond, une grande bouche, un cou rond et robuste, des épaules
larges, une poitrine bombée et des tétons blancs, abondants et fermes, où
j’avais bu la vie et qui m’éblouissaient, tandis qu’à la lumière du calel elle
délaçait, tout en poussant de gros soupirs, le cordon de la cotte rouge qui les
emprisonnait. Et eux se gonflaient, semblait-il, dans l’impatience de leur
libération, tandis que Barberine défaisait de ses gros doigts les nœuds dont
elle avait raccommodé le lacet. Ils apparaissaient enfin, laiteux et globuleux,
grossis fabuleusement par l’ombre du mur, comme si la tour elle-même devenait
un vaste sein qui allait reposer sur notre joue pendant la nuit. Barberine
pliait avec soin sa cotte rouge, son corps de cotte, puis son jupon, son
tablier, et enfin son cotillon de velours vert bandé de trois bandes rouges,
l’une sous la taille, l’autre sous la croupe, et la troisième au-dessus de
l’ourlet. Puis elle enfilait une ample chemise blanche sans manche et très
décolletée, où sa poitrine libérée ondulait à l’aise. Elle poussait alors des
soupirs de bonheur et de sommeil, tandis que son poids creusait son matelas de
laine. C’était l’instant qu’il fallait saisir au vol pour lui poser une
question ou lui adresser une supplique, car la seconde d’après, c’était trop
tard, elle éteignait le calel et s’éteignait elle-même, sombrant dans un
sommeil dont dix arquebusades éclatant en même temps dans la tour ne l’auraient
pas réveillée.
Je
sautai au bas de mon lit, et je courus dans le sien me blottir et m’ococouler
en ses bras.
— Et
qu’est-ce que c’est que cette jolie petite souris ? dit Barberine de sa
voix basse et chantante en me serrant contre elle. Et que me veut-elle ?
— Barberine,
dis-je, pourquoi ma mère a tant fâché mon père ?
— Pour
ce qu’elle était elle-même fâchée, dit Barberine, qui ne mentait jamais.
— Fâchée
de quoi ?
— De
ce que le notaire a appelé Samson, Samson de Siorac.
— Il
ne s’appelle donc pas ainsi, Barberine ? dis-je étonné.
— Maintenant,
si.
— Et
comment s’appelait-il avant ?
— Il
n’avait pas de nom.
Je
n’en crus pas mes oreilles.
— Mais
c’est pourtant bien mon frère !
— Ah,
certes ! dit Barberine. Et beau ! Et fort ! Et franc comme écu
non rogné ! C’eût été grand-pitié, celui-là, de ne pas l’appeler Siorac,
Dieu le bénisse !
Elle
ajouta entre ses dents :
— Et
la Vierge Marie, aussi. Va, ma petite souris, reprit-elle en coupant court.
Regagne ton trou. J’éteins.
Et
avant même que j’eusse eu le temps de passer dans mon lit, elle souffla le
calel, si bien que je me retrouvai dans le noir, et me trompant, dans le lit de
la petite Hélix qui, l’oreille aux aguets, ne dormait pas, et dont les bras se
refermèrent sur moi avec une force stupéfiante.
C’est
vrai qu’elle avait dix ans déjà, et je ne sais pas pourquoi on l’appelait
encore la petite Hélix, car elle n’était point petite, loin de là, et déjà
presque formée.
— Ah,
je te tiens ! dit-elle à voix basse. Et maintenant que je te tiens, moi,
diablesse, je vais te manger tout cru !
— C’est
point vrai, dis-je, je ne te crois pas, tu n’as pas les dents comme un
loup !
— Et
ça ? dit-elle en me renversant sur le dos et en pesant de tout son long
sur moi. Moi, reprit-elle, moitié grondant et riant, et cherchant mon oreille
pour la mordiller, moi, je commence toujours par l’oreille, parce que c’est
morceau de choix, comme crête de coq ou cul d’artichaut ! Mais après
l’oreille, je mange tout, morceau par morceau, et jusqu’à l’os.
— C’est
point vrai, dis-je, et tu m’étouffes ! Ôte-toi de moi ! Ou j’appelle
Barberine !
— Ma
mère dort ! dit-elle en riant sans vergogne. Allons, ma petite souris, tu
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