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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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grand rassemblement des
nobles de la province avant la montée sur Paris.
    Ricou
parti, mon père dit d’une voix sonore et bien timbrée :
    — Mes
amis, pensant au péril que nous allons encourir dans le Nord pour défendre le
royaume et aux dangers auxquels ceux que nous laisserons ici seront peut-être
affrontés, je demande que nous nous recommandions, les uns et les autres, à la
grâce et clémence de Dieu par une courte prière récitée en commun.
    Là-dessus,
d’une voix grave mais sans emphase, sans rien de mécanique non plus à la façon
de notre curé, et sans marmonner ni trébucher, mais en détachant bien tous les
mots, et avec un accent de sincérité comme si chacun de ces mots était neuf
pour lui, Jean de Siorac récita le Notre Père, que tous se mirent à
réciter avec lui, enfants compris. La nuit était alors tout à fait tombée, et
nous n’étions éclairés que par deux calels posés au milieu de la table. J’étais
étonné de ce Notre Père, récité si lentement et avec tant de force et de
ferveur. Et pensant que mon propre père allait être tué à la guerre, comme le
détestable notaire Ricou l’avait dit et répété en lisant son papier, un frisson
me parcourut l’échine et les larmes se mirent à ruisseler sur mes joues.
J’aimais, certes, ma mère, et tendrement Barberine qui avait eu charge de ma
nourriture en mes maillots et enfances, et mon demi-frère Samson  – bien
au-dessus de mon aîné  – et ma petite sœur Catherine, mais rien à Mespech
ne me parut jamais plus admirable, plus fort, plus savant en toute chose, plus sage,
plus habile et plus indestructible que Jean de Siorac. J’aimais tout de lui,
ses yeux clairs, sa parole élégante et surtout la façon dont il se tenait campé
sur ses jambes, la taille droite, le cou libre, le menton levé, et jusqu’à la
cicatrice qui zébrait sa joue et ajoutait pour moi à sa majesté.
    La
prière finie, mes pleurs coulant toujours de mes yeux sans que je fisse un
geste pour les essuyer, se produisit un incident très pénible qui rompit pour
moi la solennité de la scène et m’ébranla jusqu’au cœur.
    Au
milieu du recueillement qui suivit le Pater, Isabelle de Siorac prit tout d’un
coup la parole avec sa pétulance habituelle et dit :
    — Mon
cher époux, je voudrais ajouter au Pater une petite prière destinée tout
particulièrement à votre protection.
    Et
elle se mit à réciter le Je vous salue, Marie. La foudre tombant au
milieu de la grande salle de Mespech n’aurait pas produit un effet plus
terrifiant. Sauveterre et Siorac se figèrent et, les poings derrière le dos,
silencieux, serrant les dents, ils fixaient des yeux glacés sur Isabelle.
Geoffroy de Caumont considérait sa cousine d’un air à peine moins furieux,
tandis que son aîné, qui était, lui aussi, pour la Réforme, mais sans y mettre
la même passion que son frère, paraissait fort embarrassé. Cathau, Barberine,
la petite Hélix et moi, récitions avec Isabelle l’Ave Maria. Samson ne
disait mot, parce que, soustrait dès le premier jour à l’influence de ma mère,
il ne l’avait jamais appris. Quant à François, après avoir récité les premières
paroles, il s’arrêta net dès qu’il vit le visage de mon père. Je ne lui sus
aucun gré de cette petite lâcheté, et je continuai jusqu’au bout la récitation,
bien convaincu que ma mère avait eu tort de tant fâcher mon père, mais peu
décidé à l’abandonner dans son désarroi, car je voyais trembler son menton,
bien qu’elle fît bonne contenance sous les regards dont elle était accablée.
Quant aux cousins Siorac et aux soldats, immobiles, les yeux fixés à terre, ils
se taisaient, avec l’air de souhaiter de tout leur cœur d’être à mille lieues
de là.
    — Mes
amis, dit mon père quand elle eut fini (il était pâle, et les dents serrées,
mais il parlait avec assez de calme), retirez-vous dans vos chambres pour la
nuit, j’ai à prendre congé de ma femme.
    Il
embrassa avec chaleur François et Geoffroy de Caumont, et ceux-ci sortirent les
premiers, suivis de Sauveterre claudiquant qui voulait leur montrer leurs
chambres. Les cousins Siorac et les soldats suivirent, ainsi que mon aîné
François qui ne comptait plus pour un enfant, ayant déjà sa chambre à lui.
    Cathau
et Barberine quittèrent la pièce plus lentement, emmenant les enfants dans
leurs jupes et, la porte de la grande salle refermée, je remarquai qu’elles
flânaient dans la

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