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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ton chat, reste bien tranquille, ou tu vas tâter de ma griffe.
    — Si
tu es un chat, dis-je bravement, je prendrai demain l’épée de mon père et te
fendrai en deux, de la tête aux talons.
    — Fi
donc ! dit la petite Hélix. Point de vanteries, souriceau ! Écoute
une dernière fois : ou je te dévore à petits morceaux, ou tu restes la
nuit avec moi !
    Je
ne dis ni oui ni non, mais étonné de la trouver à la fois si potelée et si
forte, je cessai de lutter et je m’endormis dans ses bras. Au jour, cependant,
elle me réveilla avec un fort pinçon, et feignant d’être très courroucée de me
trouver là, elle me renvoya avec rudesse dans mon lit.
     
     
    Le
départ de mon père nous privait de Cabusse, et Cabusse, outre ses autres
talents, était notre cuisinier, ce qui le portait un peu sur la piquette, et
beaucoup à des familiarités avec Cathau et Barberine. Ni l’une ni l’autre, à
grande peur d’être chassées, ne les toléraient, la première à son corps
défendant et qui se serait fort peu défendu, si l’œil du maître n’avait été là,
car elle trouvait de l’agrément à la terrible moustache de Cabusse, à sa haute
taille, à ses manières enjôleuses et à son parler gascon. Hélas, quand elle
descendrait le matin chercher le lait chaud de Mme de Siorac, Cabusse ne serait
plus là pour lui dire de sa voix chaude : « Adieu ! Ma
mie ! Va bien, ce jour d’hui ? Et comment ça n’irait pas, fraîche
comme je te vois, avec des joues rouges comme des pommes et des lèvres comme
des cerises ! Que tu fais briller la cuisine de tes couleurs rien qu’en y
entrant ! On dit bien : fille pâle demande le mâle, mais pardié, je
ne le crois pas, c’est tout le contraire ! Qui a vu un navet tomber jamais
amoureux ?» Mais Cabusse lui-même, si brave soldat fût-il, baissait la
voix en disant cela, tant il craignait d’être entendu par les Capitaines.
    Pour
remplacer Cabusse, on essaya Barberine, mais Barberine, qui avait nourri tant
d’enfants par les voies de la nature, se révéla peu capable de nourrir les
adultes par les voies de l’art. Et Sauveterre fit appel à la Maligou, la femme
de celui-là qui avait si mal gardé Mespech contre les entreprises sournoises de
Fontenac.
    La
Maligou vint et resta. Aussi volumineuse que Barberine, mais sans la fermeté,
et pas le plus petit brin de sagesse et de raison dans sa grosse tête
ébouriffée, étant tout vanité et bavardage, crédule et superstitieuse à
l’infini, se signant vingt fois par jour, croisant les doigts pour conjurer le
sort, jetant le sel par-dessus son épaule, et devant son pot, qu’elle cuisait
d’ailleurs à la perfection, dessinant derrière elle du doigt un rond sur le
dallage pour éviter que le Diable ne lui troussât ses jupes jusqu’à
l’encapuchonner tandis qu’elle était baissée sur le feu.
    La
Maligou vint à Mespech avec sa fille qu’elle nommait Suzon, mais l’habitude se
prit plus tard de la nommer la Gavachette, nom qui lui resta. C’était alors une
diablesse de trois ans, la peau d’une Sarrazine, mince et gracieuse comme une
lame, les yeux fendus et liquides, et malicieuse à vous damner, sinon que le
cœur était bon. À six ans, et déjà fort, je la portais sur mes épaules,
Catherine boudant sur sa petite chaise basse, les deux nattes blondes retombant
sur sa moue, et la petite Hélix toute furie rentrée car, à la Gavachette, elle
n’osait toucher, ni de près ni de loin, la Maligou ayant l’œil vif et la main
leste.
    La
Maligou faisait de grands mystères de la naissance de la Gavachette  –
qu’elle mettait au-dessus de tous ses enfants, mari, père, mère et
grands-parents  – avec des signes de croix, des pincées de sel dans le feu
(le sel qui est si cher ! grondait Sauveterre), et des simagrées à
l’infini. Mais incapable de langue garder, elle révélait l’affaire au moins une
fois le mois, avec des murmures et des mines de confidence, l’air contrit, et
la fierté dessous.
    La
Gavachette n’était point, hélas (cet hélas sentait l’hypocrite), la fille du
Maligou, mais par force, d’un Roume, capitaine d’une bande armée qui, quatre
ans plus tôt, avait pillé la nuit leur maison, exigeant toute la chair salée pendue
aux poutres, sans quoi ils brûleraient le blé en herbe, jetteraient le sort sur
les vaches et couperaient la vigne. À ce mot de vigne, la Maligou céda tout.
Mais la chair livrée, le capitaine des Roumes, grand et bel

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