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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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villages alentour qui ne se
pouvaient non plus marier, faute de maison pour loger leur famille ou de terre
pour la nourrir, et c’était vraiment grand-honte et pitié qu’il y eût tant de
gars privés de filles, alors que tant de filles dans nos campagnes entraient au
couvent, faute d’un époux terrestre. Je fais ces réflexions à un âge où
moi-même, qui suis né pourtant au sein d’une famille riche, mais ne suis qu’un
cadet, ne peux épouser une demoiselle dont je suis ensorcelé, faute d’un
établissement suffisant. Ainsi, c’est toujours ce maudit argent qui tout
commande, y compris la douceur de la vie.
    Sauveterre
se faisait un sang d’encre au sujet de cette troupe armée de Roumes qui
dévastait le pays de Belvès, profitant de l’absence de la noblesse et de ses
hommes d’armes pour rançonner les châteaux, car le château le plus fort est
faible si ses défenseurs sont en trop petit nombre ou trop peu valeureux, ce
qui était bien le cas, la levée du ban et de l’arrière-ban pour sauver le
royaume ayant écrémé le meilleur.
    Les
Roumes n’étaient pas gens qui ne rêvaient que sang et carnage. Victorieux, ils
forçaient les filles, mais sans les tuer après. Ils ne touchaient pas non plus
aux enfants, dont ils étaient comme amoureux, au point même de les voler,
disait-on, quand ils les trouvaient beaux. Avant d’attaquer, ils entraient en
négociations avec le château ou la ferme et, pour prix de leur neutralité,
réclamaient des armes, de l’argent et des vivres. Mais il leur arrivait aussi,
après avoir touché la rançon, de décider de ne pas foi garder, et d’attaquer.
On disait qu’ils châtraient les adversaires qu’ils avaient occis, ce qui
répugnait beaucoup à nos mœurs, encore que j’aie vu faire pis plus tard par nos
soldats  – huguenots ou catholiques  – dans les grandes guerres
civiles du royaume.
    Les
Roumes étaient armés de bric et de broc, mais redoutables, car ils attaquaient
souvent la nuit, et silencieux comme des serpents, lestes comme des chats, ils
avaient vite fait d’escalader les murs réputés hors d’échelle et, l’alerte à
peine donnée, ils étaient déjà dans la place. Or il n’y avait plus à Mespech
qu’un seul capitaine, Sauveterre, et qu’un seul soldat, Faujanet. Jonas, il est
vrai, faisait merveille avec son arc anglais, mais il fallut apprendre aux
frères Siorac à tirer l’arquebuse, et même instruire les femmes, au moins ma
mère, Cathau et Barberine, car la Maligou, à pied d’œuvre, poussa de tels cris
et fit tant de simagrées que Sauveterre la renvoya vite à son pot. Ma mère fit
aussi quelque résistance, mais d’une autre sorte, prétendant que c’était contre
l’honneur d’une noble demoiselle de toucher aux bâtons à feu. À quoi
Sauveterre, l’œil sombre et la voix abrupte, répondit : « Madame, si
Mespech est pris, que deviendra votre honneur ? » À quoi Isabelle
frémit, blêmit et plia.
    On
instruisit aussi François à l’arquebuse. Je m’en mordis les poings de rage, et
Samson aussi, car notre aîné prit incontinent avec nous des airs
insupportables. Mais Sauveterre trouva un emploi aux cadets. Il nous fit
entasser de grosses pierres tous les cinq mètres sur les chemins de ronde, et
coiffés de bourguignottes, beaucoup trop grandes pour nos têtes, nous devions
courir çà et là en brandissant des lancegayes [13] pour faire nombre à l’approche de l’ennemi. La petite Hélix reçut aussi une
bourguignotte et une lancegaye, mais on la lui enleva bientôt, tant cette arme
paraissait dangereuse dans ses mains. Si les échelles étaient appliquées contre
nos murs, nous devions poser les piques, et balancer vaillamment les pierres
par les créneaux sur les têtes des assaillants.
    Les
récoltes étaient rentrées, la vendange aussi, et dès que les labours d’automne
furent finis, on rentra aussi les bêtes des pâtures, en dépit du beau temps,
afin de ne pas les exposer aux pillards, non plus que les bergers. On évita
aussi de se rendre à Sarlat et dans les châteaux voisins, ni même dans nos
villages, tant on se méfiait des chemins et des embuscades où les Roumes
étaient passés maîtres. Sauveterre ordonna qu’une brève reconnaissance hors des
murs aurait lieu chaque jour à l’aube, et le soir après le coucher du soleil.
Il confia ces petites patrouilles aux deux frères Siorac, et avant de les
laisser partir, on enveloppait de chiffons les sabots de leurs

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