Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
commencer. Ils
frissonnaient dans la petite brise fraîche de potron minet, car ils s’étaient
vêtus à la légère en prévision du chaud du matin et de la sueur à venir. Tâtant
de la main gauche à leur ceinture le coffin où la pierre à aiguiser baignait
dans l’eau, ils reposaient l’autre main sur le dessus de la lame, la faux
dressée devant eux dans la position qu’on lui prête quand on représente la Mort
sur les gravures. Cependant, ils étaient, tous les neuf, plutôt contents que
tristes. Car si dure que fût la tâche devant eux, en revanche, ce jour-là était
fête aussi.
    À
Mespech on ne lésinait pas sur le manger au temps des foins. Et les faucheurs,
vers les quatre heures, s’étaient calé la panse au château d’une forte soupe
aux légumes et lardons suivie d’un copieux chabrol.
    Alignés
en bordure du Haut Pré, ils regardaient sans parler l’herbe onduler sur la
pente jusqu’à l’orée du bois en contrebas. Mille Dious, elle avait bien profité
des pluies, la garce : haute, verte, luisante, épaisse comme chevelure de
femme et il y en avait tant et tant, et une telle immensité d’étendue qu’on se
disait qu’on ne pourrait jamais la faucher toute, même à neuf, d’ici ce soir.
Valait mieux n’y penser point trop, mais se dire qu’à onze heures il y aurait
beau pain de froment, quantité de chair salée et piquette sans parcimonie.
    En
bas, sur la charrette, à l’ombre de l’arbre, ils voyaient la dizaine
d’arquebuses chargées que la frérèche avait amenée, afin que les faucheurs, en
cas d’attaque, pussent se joindre à eux. Ils savaient gré aux Capitaines de ces
précautions, comme de patrouiller à cheval, tout le temps que durerait la
fauche, ce que ne faisaient pas tous les maîtres, certes, d’aucuns aimant mieux
laisser leurs gens sans défense que de s’endolorir le fessier d’une journée
passée en selle.
    Quand
Jean de Siorac leva le bras pour donner le signal, Faujanet, qui était, dans la
ligne des faucheurs, le premier à gauche, se campa sur ses jambes et entama la
lisière du champ, faisant siffler virilement sa faux dans l’herbe attendrie par
la rosée et ramenant toute la coupe d’un seul geste en andain régulier sur sa
gauche. Jonas, qui était le second, lui laissa prendre une bonne toise d’avance
avant d’entamer l’herbe à son tour, et son voisin de droite, Fougerol,
attendit, lui aussi, pour commencer, que Jonas se fût enfoncé d’une bonne toise
dans le champ. Le décalage en profondeur de faucheur à faucheur fut ainsi
respecté jusqu’au dernier à droite de la file, qui avait par là même huit
toises de retard sur Faujanet. Ainsi chacun voyait clairement devant lui la
petite bande de champ qu’il avait à faucher, et ne risquait pas de choquer la
pointe de sa faux contre le dos de la faux de son voisin de gauche, ni de
laisser de folles herbes entre sa portion et la sienne.
    Faujanet,
le premier à gauche de la file, se trouvait par là être le chef de la fauche,
puisqu’il donnait aux autres le rythme qu’ils devaient suivre, et leur
indiquait également les pauses pour aiguiser les lames en sonnant deux coups
d’une petite corne qu’il gardait suspendue par un lacet autour du col. La
frérèche avait choisi Faujanet pour cet office, non parce qu’il était des neuf
le meilleur faucheur, mais parce qu’il était, bien au contraire, un faucheur
moyen, ni trop puissant ni trop rapide, et que tous, par conséquent, pouvaient
suivre sans que personne ne disloquât, par son retard, le dispositif.
    Faujanet
lui-même n’interprétait pas comme je dis la charge qu’on lui avait confiée. Mon
père remarquait en souriant que les foins étaient pour lui son heure de
puissance et de gloire, et à observer le visage du petit noiraud tandis qu’il
saisissait sa corne pour sonner deux coups (ou trois pour reprendre le
travail), on pouvait voir le prix qu’il attachait à ses fonctions. En outre, il
aimait faucher. Certes, la faux n’était pas dans ses mains, comme dans celles
de Jonas, une manière de jouet. Faujanet, au contraire, sentait l’effort dans
ses reins, ses bras, la torsion de son torse et la tension de ses petites
jambes bien cramponnées au sol pour que son corps, en se penchant, ne basculât
pas en avant. Mais c’était un effort ménager de l’avenir. Faujanet veillait à
ne pas prendre trop d’herbe à trancher à la fois au bout de sa faux et à ne pas
forcer le rythme en revenant trop vite

Weitere Kostenlose Bücher