Fortune De France
« l’hérésie », Isabelle ne se
laissa point abattre, bien au contraire. Et l’orgueil aussi raide et rougeoyant
que crête de coq, elle apparut dans la librairie de mon père en sa fraise et
ses affiquets et superbement vêtue, ses beaux cheveux blonds ornés des perles
héritées de ses aïeux (mon père n’ayant certes pas le cœur à dépenser les écus
de la frérèche en parures si frivoles).
Ce
fut elle aussi qui, avant même que mon père ouvrît la bouche, attaqua.
— Messieurs,
dit-elle d’un ton hautain, que faites-vous si nombreux céans ? Vous
liguez-vous contre moi ? Êtes-vous mes juges ? Comptez-vous me mettre
à la question quand vous aurez fini ? Est-ce pour cela que vous avez
convoqué mes quatre cousins Caumont ? Sept hommes contre une malheureuse
femme, et celle-ci assistée de personne, vous sentez-vous assez forts pour me
vaincre ?
— Madame,
dit mon père assez ému de ce début, et de la hauteur où d’emblée sa femme
s’était mise, ce discours n’a pas de sens et encore moins de raison. Personne
ici ne vous veut du mal, bien au contraire. Et nous désirons tous du plus
profond de notre cœur que vous soyez sauvée. Si vous voyez ici vos cousins
Caumont, c’est qu’ils sont tout ce qui vous reste de votre illustre famille, et
qu’ayant avoué depuis longtemps la religion réformée, ils ont désiré d’être
présents quand vous serez appelée par nous à rejoindre nos rangs. Quant à
monsieur Duroy, que vous voyez céans...
— Je
ne connais pas ce maraud, dit ma mère de son air le plus altier, et je ne
désire pas l’écouter.
— Maraud,
madame ? dit mon père avec un haut-le-corps. Monsieur Duroy est ministre
de notre religion, homme des plus savants et d’une vertu rare. Vous lui devez le
respect.
— Monsieur
mon mari, dit Isabelle, je dois le respect aux prêtres et prélats de la Sainte
Église où je fus élevée ainsi que tous mes aïeux avant moi, ainsi que le roi de
France Charles IX, notre maître et souverain, et je m’y tiendrai avec fidélité
jusqu’à mon dernier souffle. Quant à vos pestiférés hérétiques, je ne veux rien
avoir de commun avec eux !
Cela
fut dit avec tant de force et de dédain qu’un long silence suivit. Sauveterre,
Duroy et les Caumont paraissaient changés en pierre. Quant à mon père, il se
leva et fit quelques pas dans la pièce, les poings serrés, ivre de rage et du
tout capable de parler.
— Isabelle,
dit-il enfin d’une voix blanche en se tournant vers elle, prenez garde !
Nous sommes tous ici, comme vous dites, des « pestiférés
hérétiques », et si vous ne voulez rien avoir de commun avec nous, cela
veut dire que vous allez reniant votre famille entière.
À
ce coup, Isabelle comprit qu’elle avait été un peu loin et se tint coite, mais
toujours aussi raidie en son attitude rebelle, le buste droit et la tête
redressée. Néanmoins son silence permit à mon père de se calmer, de se rasseoir
et de reprendre la parole. Ce qu’il fit d’une voix détimbrée par la colère et
par l’effort qu’il faisait pour la maîtriser.
— Madame,
je vous prie de prendre place sur ce fauteuil, et de bien vouloir écouter ce
que le ministre Duroy va vous dire touchant notre religion.
— Non,
monsieur, je resterai debout, dit Isabelle d’un ton plus doux mais tout aussi
résolu. Je n’ouïrai pas les dangereuses nouveautés que vous-mêmes et les vôtres
cherchez à introduire dans la foi de nos pères !
— Mais,
ma cousine, dit Sauveterre avec indignation, c’est bien là votre mortelle
erreur et elle ne procède que de votre volontaire ignorance. La nouveauté n’est
pas notre fait, à nous qui essayons, bien au contraire, de retrouver la source
pure et claire du christianisme, dont l’Église romaine a fait un grand fleuve
boueux, en y mêlant des coutumes, des idolâtries, des monstruosités et, comme
vous dites, des nouveautés. Notre gloire est d’adhérer strictement à la parole
de Dieu telle qu’elle se révèle à nous dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
C’est là une source pure où, pour peu qu’il sache lire, tout un chacun peut
boire.
— Et
se forger à lui-même sa petite religion, à la faible lueur de son petit bon
sens, dit Isabelle avec sarcasme. Non, mon cousin, l’Église a raison de tenir
pour une invention pestilentielle d’avoir traduit, comme firent vos huguenots,
l’Ancien et le Nouveau Testament en langue vulgaire, et de les avoir
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