Fortune De France
plus
acaprissat, ma cousine, que la plus butée des chèvres, et prenez garde que
votre opiniâtreté ne dégoûte de vous votre mari et ne fasse qu’il vous répudie.
— Quand
même mon mari me renverrait, dit Isabelle d’une voix tremblante, je suis trop
assurée de votre bonne amitié pour moi, mon cousin, pour craindre que vous me
délaissiez.
— Que
si, madame ! dit Geoffroy de Caumont en fronçant le sourcil. Que si !
Ni mon aîné, ni mes cadets François et Jean, ni nos parents alliés et amis ne
voudraient alors de vous, et il n’y aurait point de retraite pour vous dans
toute l’étendue de la province.
Isabelle
fit face avec vaillance à ce coup. Elle dit d’une voix assurée :
— Monsieur,
quand vous me délaisseriez, l’Église ne me délaissera pas. Et j’aime mieux être
la plus misérable de la terre que de quitter l’Église pour les hommes.
— Idolâtre !
cria mon père avec un mélange de douleur et de colère. L’Église ! Toujours
l’Église ! Et Dieu, madame, qu’en faites-vous ?
— Pour
moi, dit Isabelle, l’Église et Dieu, c’est tout un.
Un
silence consterné suivit ces paroles, et Geoffroy de Caumont dit avec
fureur :
— Madame,
ayant un mari, un frère, des fils, et toute votre famille de la religion
réformée, comprenez qu’en restant papiste vous rompez avec ceux de votre sang
et de votre alliance les liens naturels et sacrés. Et par tous, à cette heure,
vous ne serez plus tenue pour l’épouse, mais pour la garce du Baron de
Siorac !
— Il
se peut, dit Isabelle en se redressant, mais alors, monsieur, de cette garce,
il se trouve que vous avez été le maquereau, car Dieu sait si vous avez poussé
à ce mariage !
Geoffroy
de Caumont blêmit, et mon père, à qui les mots de « répudiation » et
de « garce » avaient fait autant de mal qu’à Isabelle, se leva et dit
d’une voix brève, mais avec assez de courtoisie :
— Madame,
cet entretien vous a éprouvée. Nous allons y mettre un terme. Et avec votre
permission, je vais vous raccompagner dans votre appartement.
— J’irai
bien seule, dit Isabelle.
Les
larmes aux yeux, mais invaincue et indomptée, elle pivota sur ses talons, et
faisant sonner sa canne sur le plancher, quitta la pièce dans un majestueux
mouvement de sa large jupe.
Isabelle
restant ancrée, inébranlable, dans la foi de ses pères, et refusant tout
accommodement, la dispute entre elle et mon père se poursuivit des mois et des
années. Elle fit rage, en fait du 23 décembre 1560 au 15 avril 1563, ébranlant
Mespech jusque dans ses fondements. Le ferment de désaccord et presque de haine
que cette furieuse querelle fit lever dans notre communauté jusque-là ordonnée
et paisible, non seulement creusa un fossé entre mari et femme, mais tirailla
le domestique, décontenança les enfants, et par moments même – surtout
quand il s’agit de savoir s’il fallait ou non renvoyer Franchou – divisa
la frérèche.
Malgré
ses grands airs, ses picanieries et ses petits coups de canne, ma mère savait
se faire aimer de ses chambrières, et Franchou, après Cathau, avait conçu en
peu de mois pour elle une affection quasi dévote. Ce qui fit que la frérèche et
le ministre Duroy, entreprenant de convertir la servante après la maîtresse, et
croyant la tâche facile, furent bien ébahis de se heurter à un mur. D’emblée et
tout à plat, Franchou, croisant sur ses forts tétons ses bras rouges, déclara
par la Vierge et par tous les saints qu’elle ne voulait rien ouïr des
méchancetés qui avaient fait pleurer Madame, qu’elle aimait Madame, et qu’elle
voulait vivre et mourir dans la religion de Madame. De cette position elle ne
voulut branler, ni par douceur ni par menace.
Mon
père fut fort irrité de trouver la pauvre chambrière si entêtée, mais en son
for intérieur il ne laissait pas d’être touché par la grande amour qu’elle
avait pour sa maîtresse, et Franchou sortie, la rude proposition de Sauveterre
de la congédier sur l’heure le prit très à contre-poil. L’œil sourcilleux et le
ton abrupt, il repartit qu’il y aurait de la cruauté à priver Isabelle de sa
chambrière dans un moment où elle se sentait déjà si isolée à Mespech, et que
d’ailleurs, touchant la servante de sa femme, à lui seul revenait la décision.
Ayant dit, il tourna le dos et quitta la pièce, laissant Sauveterre grandement
navré de ce ton, de ce regard, de ce propos.
Ainsi
sur
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