Fortune De France
plus pressant :
— Je
vous en prie, monsieur de Caumont, ne tombez pas en ces extrémités. Ne soyez
point si âpre et si violent. Accommodez-vous aux catholiques. Ne faites point
de bande et de corps à part. Vous voyez quelles ruines cet esprit de parti a
déjà apportées au royaume, où se voient partout une extrême désolation et les
pièces éparses d’un État démembré. Si ces tumultes doivent se poursuivre, je
crains le pire.
Caumont,
à ce discours pressant, ne répondit pas un seul mot, mais les yeux à terre, le
corps droit et raidi sur sa chaise, il garda un silence farouche. La Boétie
changea alors de sujet, fit des compliments à la frérèche sur la prospérité de
Mespech, et après quelques minutes de cet entretien, échangeant avec Siorac et
Sauveterre des regards désolés, il prit congé.
Il
me faut dire ici quelques mots sur l’émotion de la maison d’Orioles à Cahors.
Bien qu’elle fît, en fait, plus de victimes parmi les nôtres que le massacre de
Vassy, celui-ci est bien plus connu des Français pour la raison que l’on verra
plus loin. Cependant, le tumulte de Cahors donne déjà l’image et le modèle de
ce qui se passa quelques mois plus tard à Vassy, et en tant d’autres lieux où
les tueries de protestants dans les premiers mois de 1562 préludèrent à la
première de ces affreuses guerres civiles qui déchirèrent le royaume de France
jusqu’à l’avènement d’Henri IV.
En
l’année 1561, le 16 novembre, les calvinistes de Cahors étaient assemblés pour
célébrer leur culte dans la maison d’Orioles appartenant à Raymond de Gontaut,
seigneur de Cabrerets. Le temps étant fort doux pour la saison, les fenêtres de
la maison d’Orioles se trouvaient ouvertes, et tandis que les religionnaires
chantaient les psaumes de David, un enterrement, suivi d’un grand concours de peuple,
et précédé par le curé de Notre-Dame de Soubirou, vint à passer dans la rue,
accompagné de chants funèbres.
Bien
que les psaumes de David et les cantiques des prêtres célébrassent le même
Dieu, catholiques et réformés se sentirent les uns et les autres insultés par
leur juxtaposition. Les réformés, par braverie, chantèrent plus fort. Les
catholiques en firent autant. De la rue aux fenêtres on en vint aux insultes,
les insultes laissèrent place aux menaces, et les menaces aux coups. Le
populaire, accouru en masse et excité en sous-main par d’acharnés catholiques,
enfonça la porte de la maison d’Orioles, et courant sus aux
« hérétiques » assemblés là pour « ouïr la parole du
diable », en massacra une trentaine.
Quant
au meurtre du Baron de Fumel, ce fut, sous couvert de religion, une jacquerie
que lui firent ses sujets. Si grande était leur haine contre leur vieux
seigneur que, le château pris, ils lui arrachèrent ses vêtements, le
flagellèrent à le tuer et, comme si la mort ne les contentait point, ils lui
baillèrent, alors qu’il gisait inerte sur le carreau, une infinité
d’arquebusades, de pistolades et de coups de dague, n’y ayant fils de bonne
mère qui ne voulût le meurtrir, et le boucher de Libos allant même jusqu’à lui
couper le col de son grand couteau.
Les
sages conseils prodigués, en ces sanglants tumultes, par Étienne de La Boétie à
Geoffroy de Caumont, ne furent pas perdus pour la frérèche. Mais il est vrai
qu’ils allaient dans le sens de leur pente. Mon père avait alors cinquante-six
ans, Sauveterre soixante et un, et soucieux de conserver les biens qu’ils
avaient si durement acquis, ils n’étaient pas hommes à les hasarder en se
portant à des excès. Ils ne touchèrent donc point à l’église de Marcuays et pas
même à la chapelle de Mespech qui conserva intactes sa croix et sa statue de la
Vierge (que d’ailleurs mon père admirait, car elle était en bois peint, et fort
naïve). Mieux même : ne voulant pas courir le risque de faire escorter ma
mère le dimanche à Marcuays par deux soldats huguenots (ce qui eût peut-être
donné prétexte à quelque braverie des acharnés papistes), Jean de Siorac
continua à bailler cinq sols le mois au curé Pincettes afin qu’il vînt dire sa
messe au château pour le seul bénéfice de ma mère, laquelle, pimplochée à ravir
en ses beaux affiquets, y assistait seule, bien droite en un fier
recueillement, tenant à la main comme un emblème son missel romain, sans
d’ailleurs jamais l’ouvrir.
Après
l’office, la frérèche invitait le
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