Fourier
leurs
concitoyens. » Quand les Autrichiens assiègent Besançon en avril 1814, Léger
Clerc sort de l’ombre pour exhorter de Bry à sauver la ville en décrétant une
levée en masse. Il décède apparemment un ou deux ans plus tard. Voir Léonce
Pingaud, Jean de Bry (1760-1835) (Paris, 1909), 221-222, 346.
Or celui-ci s’est exécuté avec un peu trop d’empressement au
goût de sa sœur : dans une lettre assez sèche, elle se disait choquée des «
fulminations » de Fourier contre le zèle religieux de sa nièce et rejetait en
bloc ses assertions « sans fondement » sur les relations qu’aurait entretenues
Cornélie avec un prêtre des environs 13 .
Mais, en 1820, l’affaire est close et Fourier est chaleureusement reçu à
Besançon. Il a avec lui ses manuscrits, dont Lubine note qu’il les entoure des
mêmes précautions jalouses que les cultures florales de son enfance : « Quelque
temps avant de publier son livre, se souvient-elle, il vint passer partie d’un
hiver à l’hôtel des Gouverneurs où je restais à cette époque : sa chambre était
à bien dire condamnée. Il ne voulait pas qu’on y entrât et il défendait surtout
qu’on y dérangeât rien à ses papiers qui étaient répandus sur tous les meubles,
tables, chaises, armoires 14 . »
Ce séjour permet à Fourier et Muiron d’approfondir leur
relation. Ils n’en viendront jamais à se tutoyer, mais toutes les lettres de
Fourier, à dater de cette époque, s’adressent à « mon cher ami ». Ils passent
tous deux des heures à converser par le truchement d’une feuille de papier
(méthode qu’ils avaient mise au point dès leur première rencontre). La plupart
de ces dialogues écrits portent évidemment sur la théorie de Fourier et la
publication de son livre. Mais Fourier tient également à se mettre au fait des
derniers événements politiques locaux. L’intérêt qu’il porte à sa ville natale
ne s’est pas émoussé durant son absence et il est outré des « machinations des
Dijonnais », qui ont obtenu une réduction de la garnison bisontine et le
transfert de l’université de Besançon. Dans ses lettres, Fourier s’enquérait
souvent des diverses réalisations architecturales en cours. Muiron est
désormais en mesure de lui faire admirer de visu les modifications les plus
récentes, comme les « additions à notre superbe bibliothèque de la rue
Saint-Maurice ». Fourier entreprend avec son aide de mesurer les rues, places,
monuments et installations militaires de la ville. Soigneusement consignées,
toutes ces données doivent servir de base à l’élaboration d’un projet de
modernisation et d’embellissement de Besançon, projet qui constituera pendant
dix ans l’un de ses principaux divertissements intellectuels 15 .
Muiron ne néglige pas non plus la vie sociale de Fourier, dont
les malencontreuses leçons de danse n’ont guère tempéré l’enthousiasme pour les
bals mondains. Il s’y rend surtout, il est vrai, pour « jouir du coup d’œil ».
Son disciple ayant obtenu de le faire inviter à plusieurs reprises, il tient à
observer scrupuleusement toutes les règles de l’étiquette : « J’ai un billet de
bal pour samedi », écrit-il le 4 janvier 1821. « Je pense qu’on peut y aller en
pantalon large et bas blancs comme chez les ministres. Je n’ai point apporté de
culotte de soie. Dites-moi s’il faut un costume sévère ; car je n’ai ici que
des pantalons bleus. S’ils ne convenaient pas, je n’irais pas 16 . »
Distractions variées et conversations prolongées avec Muiron et
ses amis composent donc l’essentiel de l’emploi du temps de Fourier à Besançon.
Mais il est également venu régler des affaires de famille : la nouvelle pomme
de discorde concerne son revenu principal, une rente annuelle de neuf cents
francs 17 . Après la mort de Mme
Fourrier, ses enfants ont mis en location la maison de famille dans la
Grande-Rue. Bien que Fourier eût cédé sa part de la propriété à sa sœur Sophie
Parrat-Brillat, il était convenu que la rente qui lui revenait de droit en
serait prélevée sur le loyer. Mais lorsqu’après quelques années la maison
menace ruine, personne n’ose prendre en charge les réparations qui s’imposent,
de peur que les autres refusent d’investir à leur tour. Leurs plaintes étant
restées sans écho, les locataires suspendent leurs paiements. En 1819, Fourier
attend en vain ses arrérages : il relance par courrier sa famille et le notaire
de
Weitere Kostenlose Bücher